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parmi les antécédens de la politique de M. de Bismarck et parmi les titres de la Prusse un projet mis en avant par un vainqueur tel que Napoléon. Que le roi de Prusse se soit trompé à ces ouvertures et qu’il ait pu se croire sauvé, on le comprend ; mais s’appliquer aujourd’hui sérieusement à supputer les chances que ce plan avait de réussir, c’est une peine vraiment superflue. M. Schmidt voit là une occasion de détourner sur les autres états du nord la responsabilité de la catastrophe qui allait abattre la Prusse et l’Allemagne ; il ne veut point la laisser échapper. Le chevalier de Stein écrivait en 1804 au prince de Nassau-Usingen qu’il n’y avait de salut que dans l’absorption des petits états par les grandes monarchies ; M. Schmidt, en admirant ce que cette vue atteste de pénétration, s’étonne et se fâche que les petits états aient fait alors tant de façons et montré beaucoup de répugnance à se laisser absorber par la Prusse. Comment n’ont-ils pas vu ce qu’il y avait d’honneur et d’avantage pour eux à se laisser ainsi dévorer ? Il accable de reproches la Hesse et la Saxe, il les accuse avec amertume d’ambition, de convoitise, et leur impute la honteuse pensée d’avoir voulu s’enrichir des épaves de l’empire. Il trouve ridicule que la Hesse électorale rêvât la dignité royale et prétendît se grossir des principautés de Waldeck et des deux Lippe, plus ridicule encore que la Saxe ne vît pas sans inquiétude l’élévation du nouvel empire allemand, et qu’elle osât proposer la division de la confédération du nord en trois cercles, le cercle de Prusse, le cercle de Saxe, le cercle de Hesse. Je l’avouerai, cette mauvaise volonté dont M. Schmidt se montre si fort irrité m’étonne peu. La Saxe savait depuis la guerre de sept ans ce que vaut la protection prussienne ; il ne faut pas en vouloir aux gens si, avec tout le patriotisme du monde, ils y regardent à deux fois avant de se dévouer comme Décius. On nous dit que la Hesse et la Saxe, déjà punies en 1815, le sont plus justement encore aujourd’hui. Soit ; mais si elles se fussent prêtées aux plans de la Prusse ; dès 1806, leur sort en eût-il été beaucoup meilleur ? Mourir pour mourir, c’est quelque chose après tout, même pour un état, de gagner soixante années.

M. A. Schmidt se console des conséquences de la défaite d’Iéna. « Jamais la Prusse n’avait été plus haut qu’après son abaissement. Alors commence une de ces périodes de parfaite harmonie entre roi et peuple, une de ces périodes si rares de bonheur monarchique, où les princes ne sont et ne veulent être autre chose que les guides du peuple dans la voie commune du libre développement intellectuel et civil ; ce temps avec tous ses malheurs est le plus beau de l’histoire intérieure de la Prusse. » On serait tenté de trouver M. Schmidt vraiment trop consolé. Ce dont il se montre indigné, c’est qu’après la victoire, au lieu de prendre la haute main en Allemagne, de revendiquer au nom des services rendus par elle la direction des destinées de la patrie, la Prusse,