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qui professe l’entomologie au Muséum d’histoire naturelle, a consigné dans cette publication, consacrée aux insectes myriapodes, arachnides et crustacés, le fruit d’observations continuées depuis longues années sur les espèces vivantes ; on y trouvera par conséquent beaucoup de choses vraiment neuves, inédites. Ainsi M. Blanchard a cherché à faire ressortir constamment les relations étroites qui existent entre les habitudes, les mœurs, le genre de vie des espèces et la conformation de leurs organes. Cet ordre de considérations avait été jusqu’ici très négligé des naturalistes. Darwin a bien senti l’importance de l’adaptation organique des espèces à des conditions d’existence particulières ; mais il y voit un caractère essentiellement variable, et il admet que le défaut d’exercice d’une part et l’élection naturelle de l’autre peuvent occasionner dans les organes des modifications profondes et héréditaires. C’est ainsi que, selon ce naturaliste, s’explique l’atrophie des ailes chez beaucoup de coléoptères qui habitent l’île de Madère ; ces insectes perdent l’habitude du vol parce que, s’ils volaient, le vent les emporterait à la mer où se noierait avec eux l’avenir de leur race ; des espèces ailées, faites pour le vol, pourraient donc se transformer avec le temps en marcheurs ou en nageurs. M. Blanchard considère au contraire les dispositions des organes comme des caractères d’une grande fixité, et en tire même un argument contre la théorie de Darwin sur l’origine des espèces, parce que des différences imperceptibles d’organisation entraînent chez les insectes des différences d’habitudes relativement considérables, de sorte que l’organisation propre de chaque espèce semble la prédestiner à un genre de vie qu’elle ne pourrait pas quitter sans périr. Un philosophe allemand dont les écrits n’ont excité l’attention générale que vers le déclin de sa longue carrière, je veux parler de Schopenhauer, va encore plus, loin dans cette voie. Pour lui, la volonté est l’essence des êtres ; elle produit l’organisme. Les formes animales ne sont que l’incarnation d’une volonté dirigée vers un but fixé d’avance ; le moindre détail des organes est ainsi l’expression d’une fonction voulue qui doit concourir à réaliser une existence en quelque sorte préméditée.

Si nous considérons les organes locomoteurs des insectes, il est facile de se convaincre que des membres élargis, plus ou moins convertis en rames, appartiennent aux nageurs, — des appendices courts, dentés, — pelles et pioches, — aux fouisseurs. La bouche des insectes est formée, ainsi que l’a montré de Savigny, d’appendices en nombre toujours pareil, mais qui s’adaptent aux conditions biologiques des espèces. Il suffit d’examiner une ou deux pièces de la bouche d’une larve pour connaître le régime qu’elle est obligée de suivre et la manière dont elle prend sa nourriture. Voici, par exemple, deux chenilles d’espèces voisines qui vivent sur la même plante : l’une attaque les feuilles par le bord, l’antre ronge le calice de la fleur ; ces habitudes différentes se reconnaissent à