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continent européen. Hospitaliers et bienveillans, réservés et simples avec une gravité orientale qui trahit l’orgueil de leur origine, passionnés pour la chose publique, disposés à appliquer toutes les conquêtes de l’esprit moderne à la seule condition que la supériorité de leur race ne sera point méconnue, les Magyars se présentent cette fois encore tels que M. Desprez les dépeignait dans la Revue en 1848, armés d’une inflexible ténacité. « La nation a eu des fortunes diverses, disait Deák, mais elle n’a jamais abandonné son droit. Le jour où nous abandonnerions nos institutions historiques solennellement consacrées pour accepter les bénéfices d’une charte octroyée, nous nous mettrions à la merci du souverain. » C’est ainsi que malgré leur petit nombre, en dépit de l’insuffisance de leurs ressources matérielles, privés de frontières naturelles et ne pouvant faire fonds sur l’appui sérieux d’aucun voisin, les Magyars ont su maintenir intact le principe tutélaire de leurs libertés. Ils ont subi le pouvoir absolu lorsqu’ils n’étaient pas assez forts pour le renverser ; jamais de leur sein il ne s’est élevé une voix pour le reconnaître. Cette ténacité inflexible est pour eux un principe qu’ils nomment la « continuité de droit, » et ils le font remonter à la pragmatique sanction de 1713, pacte unique en vérité dans l’histoire des nations avant 1789, lentement élaboré par eux avant d’être scellé avec la maison de Habsbourg. L’homme des Magyars, c’est Deák, Dès 1847, encore bien jeune il comptait au premier rang parmi les citoyens les plus éminens de la Hongrie ; calme et impartial dans ses idées, plein de chaleur et d’entraînement dans l’expression de ses convictions, il était déjà, il y a vingt ans, le seul homme capable d’amener à une conclusion pratique les débats parlementaires les plus vifs. A la fin d’une séance orageuse, d’instinct tous les regards de ses amis et de ses adversaires se tournent vers lui. Il se lève alors, il parle, et le plus souvent, lorsqu’il conclut, chacun croit retrouver l’expression de sa propre opinion dans ce qu’il propose. Cet esprit de conduite, ce don suprême de la dialectique parlementaire, font de toute sa personne morale une sorte d’abstraction où se résume la nation tout entière.

M. de Beust fut frappé de sa première entrevue avec Deák. Il comprit qu’il n’y avait rien à espérer de la Hongrie, si l’on n’acceptait pas les termes de l’arrangement que Deák proposait. Ses entretiens avec Andrassy, Eotvös, Gorove Horvath, ayant fortifié en lui cette impression, son opinion fut formée irrévocablement. Il promit au nom de l’empereur le rétablissement de la constitution hongroise et la nomination de ministres spéciaux du royaume de saint Etienne, sous la seule condition que la diète voterait avant le couronnement une loi sur les affaires communes à la Hongrie et aux