Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


comptait à la cour byzantine, ainsi que je l’ai dit, plus d’un serviteur à gages prêt à l’aider dans toutes ses entreprises.

Les relations du primat d’Égypte avec le gouvernement impérial avaient un caractère tout particulier, unique dans l’empire d’Orient. Alexandrie alimentait Constantinople, comme Carthage nourrissait Rome, et l’évêque qui tenait sous sa main les fermiers des grains, la flottille de transport, en un mot les nombreux agens du service de l’annone, était devenu par le fait un personnage politique très important. Un retard d’un mois, de quinze jours, d’une semaine dans les envois, suffisait pour affamer la ville résidence des césars et les césars eux-mêmes, et l’on put mesurer l’influence des redoutables patriarches d’Alexandrie lorsque, sous le principat de Constance, Athanase fut accusé d’avoir voulu créer la famine. Outre cela, le service de l’annone comptant dans l’intérieur de Constantinople des agens presque aussi nombreux qu’au port d’Alexandrie et ces agens étant presque tous Égyptiens, les mêmes patriarches possédaient au sein de la ville impériale un petit peuple de matelots, d’ouvriers, de portefaix, de trafiquans de toute sorte, concentré dans un quartier voisin de la mer et en rapport avec la flotte, peuple turbulent, toujours mêlé aux émeutes de la plèbe byzantine et toujours prêt à entrer dans des complots religieux sur un signal de son évêque. Aussi l’histoire nous montre-t-elle fréquemment les Égyptiens de Constantinople agens ou complices de troubles dans les élections ecclésiastiques de cette capitale, par exemple lors de la lutte entre Grégoire de Nazianze et le philosophe Maxime, et plus récemment lors de la candidature de Jean Chrysostome. Cet état de choses assurait au primat d’Égypte dans une affaire quelconque infiniment plus de poids près du gouvernement impérial qu’aux primats d’Antioche, de Thessalonique ou de Césarée ; l’habileté égyptienne faisait le reste.

Non contens de poursuivre juridiquement les exilés devant l’empereur, les envoyés de Théophile propageaient contre eux dans la ville les bruits les plus infamans, et déjà la disposition des esprits, favorable jusque-là, leur devenait contraire. Les pauvres moines ne pouvaient plus paraître dans les rues qu’on ne les montrât au doigt comme des magiciens. À bout de patience, ils résolurent de répondre aux accusations en attaquant de front les accusateurs, et, quoi qu’en pût dire Chrysostome, ils rédigèrent une plainte dans laquelle, énumérant leurs griefs, ils requéraient contre l’évêque et les quatre abbés envoyés de Théophile la peine des calomniateurs. Ils firent plus, ils englobèrent dans la même réquisition le patriarche d’Alexandrie, premier et véritable auteur de toutes ces calomnies. Chrysostome alors les désavoua hautement, et déclara se séparer d’eux pour toujours.