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passions et des haines imprudemment excitées il y a vingt ans, toute cette contrée ne forme qu’une seule nation créée et soutenue par le puissant esprit politique de la race magyare, ayant derrière elle de glorieuses traditions historiques, le berceau et le centre de la seule civilisation florissante au sud-est de l’Europe. A chaque crise de son histoire, après la réaction joséphiste comme après celle de 1850, la Hongrie se relève plus fière et plus unie. Il est visible que cette nation se constitue en dehors de toute idée d’identité de race, exemple frappant qui nous montre que, même peuplés de races différentes, certains pays peuvent former une unité nationale. Jamais il ne suffira de prendre une carte ethnographique pour fixer le sort, des peuples à la satisfaction universelle, et ce qu’on nomme une nationalité n’existera point par le seul fait d’affinités physiologiques et d’identités grammaticales. Elle ne s’arrêtera non plus ni à la rive d’un fleuve ni au versant d’une montagne. Aucun de ces élémens n’est à lui seul le signe de la nationalité. Il les faut combiner avec l’étude du caractère propre de chaque civilisation. Ce mot si vague au premier abord se saisit mieux lorsqu’on étudie le passé des peuples et les tendances naturelles de leur politique ; on arrive ainsi à lui trouver un sens profond. C’est comme un cri qui s’élance de la conscience des citoyens, c’est la personne même d’un groupe quelconque de populations, être moral et collectif doué d’une âme particulière ; c’est l’idée de patrie dans l’acception la plus large et la plus noble, une patrie qui se forme par l’affection commune de ses enfans, par le besoin de s’unir ou de rester unis, une patrie indépendante désormais des accidens politiques, qui embrassera dans notre France une Alsace allemande, par les mœurs et l’origine, mais rattachée à nous par deux siècles de bon gouvernement, une patrie telle que la comprenaient les Italiens quand ils revendiquaient la Vénétie, une patrie telle que se la sont faite les Suisses, ne distinguant pas ceux d’entre eux qui parlent l’allemand, le français ou l’italien, une patrie telle que l’a voulue l’Allemagne en se groupant autour de la Prusse pour montrer sa force dans son unité.

Cette idée de nationalité, qui a transformé l’Europe occidentale, a acquis toute sa puissance d’expansion au fur et à mesure de la diffusion des doctrines du XVIIIe siècle et de la révolution française sur l’égalité de droits pour tous les hommes et sur la souveraineté populaire. Ce sera la gloire de la France de l’avoir appliquée sur son sol et répandue dans le monde. Peu importe que l’unité de l’Italie ou l’unité de l’Allemagne en soit la conséquence, aucun peuple n’avait le droit de l’empêcher. Nous nous refusons à croire qu’une idée si saine, si conforme aux tendances de l’esprit humain,