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mais ce lien intellectuel de la langue, qui a fait l’unité française, l’unité italienne, ne se rencontre pas partout. Il est l’indice le plus fréquent et non l’essence du principe de la nationalité. Un état peut, sans danger imminent pour sa tranquillité intérieure, renfermer des groupes de langues diverses. Si le gouvernement qui le dirige respecte depuis des siècles les aspirations des populations, si par la participation de tous il s’engage dans les voies du progrès social, cela suffit. Les liens nationaux sont étroitement formés, les velléités sécessionistes ne sont plus à redouter.

Dans toute l’Europe occidentale, le progrès des mœurs et des lois a effacé ce qui pouvait subsister des conflits de race proprement dits. Si l’on excepte un petit nombre de points contestés, tels que le Slesvig, le Luxembourg et le Tyrol italien, il semble que nous soyons arrivés à entrevoir les limites et les extensions possibles des états de l’Occident. C’est que le classement des races est fait pour l’Allemagne, pour la Scandinavie, pour la France, pour l’Italie et pour l’Espagne. Il n’en est plus de même des états de l’Europe orientale. Ce ne sont plus des questions de point d’honneur national qui s’y agitent. En Autriche comme dans l’empire ottoman, les instincts de race dominent trop souvent les combinaisons politiques, et on les confond avec la nationalité. C’est uniquement sur le principe de la communauté de race qu’est fondé le panslavisme et que s’appuient les Russes pour chercher à fonder leur domination sur les autres peuples slaves et à se créer une clientèle aux dépens de l’Autriche et de la Turquie. Faut-il y voir l’essor naturel d’un peuple civilisé étendant sa sphère d’action en vertu d’une communauté de mœurs, de langage et d’intérêts volontairement acceptée par ses voisins ? En aucune façon. La première application du panslavisme a été faite à la Pologne pour la rayer du nombre des nations. Ce sanglant exemple nous en dit assez, et aucun esprit éclairé ne peut accepter l’abus menteur que fait la Russie du mot de nationalité.

L’Autriche, qui compte dix-sept millions de sujets slaves, doit être la première à combattre cette propagande de race qui constitue un danger pour l’équilibre européen. Elle n’y peut réussir qu’en s’occupant de l’éducation des peuples slaves, en les éclairant sur leurs véritables intérêts, en les amenant à comprendre qu’ils doivent s’unir aux Allemands et aux Magyars, même au prix de quelques froissemens d’amour-propre, plutôt que de subir la domination ou tout au moins la prépondérance de la Russie. Déjà cette alliance entre des élémens divers de race et de langage commence à se faire pour le royaume de Hongrie. De la Save aux Karpathes, on compte sept langues différentes ; mais, en dépit des