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s’assurer s’il ne rêvait pas, il porta ses mains à son visage, et alors un sanglot bruyant, dont il s’effraya lui-même, le tira de cette espèce d’hallucination. Il regarda Madeleine, dont les yeux s’entr’ouvraient lentement. Elle voulut parler, mais l’horrible toux vint l’arrêter aussitôt. Agenouillé près d’elle, il soutenait sa tête appesantie, et le paroxysme cessa bientôt. Alors avec un regard d’une douceur inexprimable : — Sommes-nous seuls ? lui demanda-t-elle ;… puis sur un signe de tête affirmatif : Vous rappelez-vous une question que je vous fis à Kilsyth ?… Votre réponse me tira d’une grande inquiétude… Oh ! soyez tranquille, je ne vous demande rien aujourd’hui… Seulement vous allez vous asseoir là, près de moi, et bien écouter ce que j’ai à vous dire… Mon pauvre père, vous le consolerez, n’est-ce pas ?… mais c’est Ronald,… c’est Ronald que je vous recommande… Un moment, et sans que je sache au juste pourquoi, notre amitié s’était comme voilée et refroidie… Maintenant tout cela est oublié ; il est redevenu le meilleur des frères… Et pourtant je sais quelqu’un de meilleur encore… Devinez-vous à qui je pense ? continua-t-elle en levant sur Wilmot ses yeux bleus, dont le regard innocent et assuré attestait la candeur parfaite de ses pensées… C’est à vous, mon ami, reprit-elle, souriante demi de l’étonnement qu’elle lui causait… Nul ne m’a témoigné plus de dévouement et de tendresse… Aussi je veux léguer votre amitié à Ronald. On lui reproche un peu de raideur, une certaine inflexibilité de caractère… Dans une seule occasion, j’ai pu croire qu’on disait vrai… C’est pour cela que je souhaiterais vous voir souvent réunis… Vous ne serez jamais ensemble sans vous souvenir de moi, et quand je serai présente à sa pensée, Ronald ne sera dur pour personne…

C’est ainsi que la sœur de Ronald interprétait le repentir dont il lui avait récemment donné tant et de si touchantes marques. Elle en voulait faire jaillir une source de bénédictions pour deux êtres qu’elle aimait et dans la mémoire de qui elle était certaine de vivre. — Laissez-moi maintenant vous parler d’un remords qui me pèse, continua-t-elle avec une légère nuance d’hésitation… Un grand malheur vous a frappé dont, sans le vouloir, je fus cause…

— Non, interrompit Wilmot… Vous avez tort de parler ainsi… On vous a trompée,… ce qui est arrivé était inévitable…

— Je voudrais le croire, mais je sens que non… Voyez vous-même combien votre présence allège pour moi les souffrances et les terreurs de ces dernières luttes… Et lorsqu’elle se mourait, elle qui avait droit de vous avoir à ses côtés, vous n’étiez pas là… Je vous retenais loin d’elle… Là où tout est pardon, puisse-t-elle m’avoir pardonné !…

Un grand silence suivit ces paroles solennelles. Wilmot pouvait à peine contenir les élans de sa poignante émotion. Madeleine était