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— Mais, Ronald, qui nous l’a fait accepter ?… Comment et par qui s’était-il trouvé autorisé à venir librement chez nous ? Qui l’a jeté sans cesse sur le chemin de Madeleine ? qui a laissé se répandre le bruit qu’elle lui était destinée ? Ce n’est pas moi, ce me semble.

— Et m’accusez-vous de tout ceci ?… M’en accusez-vous seul ? demanda Ronald, non sans une certaine amertume.

— Moi, vous accuser ?… je n’accuse personne… ou plutôt si ; mais j’accuse à tort, sans réflexion, sans me rendre compte du motif qui me pousse… Vous ne savez pas combien le chagrin rend injuste… Ne parlons plus de ceci !… Laissons M. Caird pour ce qu’il vaut !… Parlons de Maddy,… ne nous occupons que d’elle. Vous ai-je dit jamais, et avez-vous oublié les sinistres présages dont Wilmot m’entretenait à Kilsyth ?… Ces présages se réalisent aujourd’hui… Le mal dont il parlait, ce mal héréditaire qui le faisait s’inquiéter de nos ancêtres, s’informer minutieusement de chacun d’eux, ce mal depuis quelques mois fait chez Madeleine des progrès sensibles… Elle ne se plaint pas, je n’ose la questionner ; mais je suis sûr de ce que je vous dis là… Depuis quelques jours, la situation est encore aggravée. L’autre soir, au spectacle, elle a pris froid, et maintenant elle tousse d’une manière effrayante.

— Qu’en disent les médecins ?…

— Elle n’en voit qu’un, le docteur Whittaker,… et c’est justement là ce dont je voulais vous entretenir… Je ne sais par qui, je ne sais comment Chudleigh Wilmot a eu lieu de se croire malvenu chez nous… Le fait est que nous ne l’avons pas vu depuis son retour. Or personne ne m’inspire autant de confiance, personne n’a compris comme lui la constitution de notre chère Madeleine… Je veux donc vous consulter sur ce que nous pourrions faire, dût-il en coûter à notre orgueil, pour obtenir qu’il vienne encore lui donner ses soins.

— Vous savez sans doute, monsieur, répondit Ronald, dont la parole hésitante trahissait l’immense embarras, vous savez que M. Wilmot, en possession d’une fortune indépendante, n’exerce plus sa profession ?

— Je le sais, mais je suis certain que si je vais le trouver, si j’implore son aide, si je lui offre mes excuses pour l’offense involontaire dont il a pu se formaliser, l’homme que j’ai connu à Kilsyth ne me refusera certainement pas.

— Les rôles se trouveraient peut-être plus intervertis que de raison, s’écria Ronald, dont la fierté se cabrait encore… D’ailleurs il est d’autres motifs qui ne me permettraient pas d’accéder à une démarche pareille.

— Et lesquels ?… Au nom de Dieu, Ronald, faites-les-moi connaître ! Vous ne semblez pas comprendre à quel point la situation devient grave.