Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/927

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veille par son mari que Kilsyth désirait avoir recours à d’autres conseils que ceux du docteur Whittaker, et la douce enfant s’était résignée à ce nouveau sacrifice. Ce n’est point que, comme tant d’autres personnes atteintes du même mal, elle se berçât de beaucoup d’illusions. Tout au contraire, elle se sentait mourante, et aucun désir de vivre ne lui restait. Un des motifs qui l’avaient décidée à écarter aussi longtemps que possible une consultation nouvelle était précisément la crainte qu’un médecin plus clairvoyant ou plus sincère que les autres ne révélât à son père le véritable état des choses et le péril imminent qu’elle sentait planer sur elle.

Kilsyth, enchanté de la trouver docile, l’avait enveloppée de ses bras caressans. — Ah ! disait-il, revenant à sa pensée de chaque jour, si seulement nous avions Wilmot… Personne n’a compris comme lui ce qu’il vous fallait.

Ni Madeleine ni Ronald ne répondirent ; mais, quand ce dernier prit congé de sa sœur, il n’osa lever les yeux sur elle. Plaignons cet honnête homme, si accessible à toute espèce de susceptibilités. Depuis quelque temps, il ne pouvait méconnaître dans le cercle de ses relations une sorte de gêne qu’il s’expliquait, hélas ! trop facilement. Londres, qui s’enorgueillit, entre autres supériorités, de proscrire les commérages dont l’influence pèse si désastreusement sur la liberté des provinciaux, n’en est pas à beaucoup près si affranchie qu’elle veut bien le prétendre. Les menus propos y circulent, dans le monde du West-End non moins que dans celui des faubourgs. Les changemens survenus chez Madeleine, et qui s’étaient surtout manifestés à l’époque de son mariage, avaient donné lieu à bien des commentaires. Le plus accrédité, parce qu’il était le plus malveillant, attribuait la mélancolie de la jeune femme à un attachement malheureux qui n’avait pas été payé de retour. Le nom seul du héros manquait à cette chronique sentimentale, et on épluchait un à un tous les habitués de Kilsyth sans pouvoir découvrir celui d’entre eux à qui on pouvait assigner avec quelque ombre de vraisemblance le rôle du « beau dédaigneux. » On parlait beaucoup moins de Ramsay Caird ; mais son nom n’était guère prononcé sans que quelque belle dame, — levant les yeux au ciel et avec un mouvement d’épaules, un jeu d’éventail très significatif, — ne laissât percer sa secrète pensée. Si on en venait à des explications plus catégoriques, les opinions semblaient partagées. D’un côté, certaines allusions à la Favorita, suivies de remarques passablement désobligeantes sur les gens de rien que l’hymen a tirés de leur néant, grands étonnemens de la patience que témoignait Madeleine et pronostics menaçans à propos du compte que Ronald Kilsyth demanderait sans doute, et avant peu,