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s’élevait ainsi de tous côtés en l’honneur de lady Muriel, se reprochait de n’être pas plus reconnaissante, et, s’efforçant de la mieux aimer, se figurait parfois y avoir réussi.

Au fond cependant, une incurable indifférence. Ni les soins qu’il fallait prendre, ni le tohu-bohu des visites à faire, ni les assiduités intéressées de la couturière, ni le choix des bijoux, ni les cadeaux qui pleuvaient de tous côtés, ni les empressemens ingénieux de son fiancé, ni l’agitation des dîners priés, des concerts, des bals qui se donnaient sans relâche et dont elle était l’héroïne, n’en purent triompher seulement une heure. Docile à tous les conseils, soumise à toutes les volontés, elle laissait sa belle-mère et son futur, — puis son mari, — régler, arranger, dépenser, économiser à leur guise. Tout lui semblait bien, et rien ne l’intéressait ; si on voulait avoir son avis et si on la tourmentait pour qu’elle se prononçât sur tel ou tel point spécialement important : — Il me semble, disait-elle, que cela ira bien. — Cette formule décidément lui était chère.

Lady Muriel, suppléant à l’inertie de la jeune mariée, lui avait dressé un programme de réceptions, d’invitations, de soirées intimes, ponctuellement suivi, mais sans la moindre joie ni le moindre enthousiasme. Les nombreux amis de la famille s’étaient donné rendez-vous dans l’élégante petite maison où les deux jeunes époux allaient faire leur nid. Ils accoururent au premier signal, et la salle à manger de Ramsay Caird, — de dimensions tout à fait socratiques, — les reçut à tour de rôle, par groupes nécessairement fort restreints ; mais ce premier essor ne dura guère. Dans le gracieux accueil que Madeleine gardait invariablement à ses hôtes, ils ne pouvaient s’empêcher de discerner quelque lassitude et quelque secret ennui. Quand lady Muriel n’était point là, — il est vrai qu’elle venait, de règle certaine, au moins une fois le jour, — la conversation chômait, l’entrain s’éteignait peu à peu. On en vint à chercher tout bas des explications à ce phénomène, et la conduite de Ramsay Caird se trouva ainsi mise sur le tapis. Il fut décidé que, pour un jeune mari, pour le mari d’une aussi charmante femme, il ne restait pas assez chez lui. Les célibataires de sa connaissance n’auraient certainement pas songé à s’en plaindre, s’ils eussent trouvé auprès de Madeleine l’accueil que l’on espère d’une pauvre petite femme trop souvent laissée à elle-même ; mais comme cette « miss Kilsyth » dont beaucoup d’entre eux conservaient le radieux souvenir ne laissait percer ni le moindre dépit ni la plus légère velléité de vengeance, comme elle semblait ne s’occuper aucunement d’interpréter les symptômes d’affectueuse compassion que ses danseurs d’autrefois lui prodiguaient à l’envi, ils ne furent pas longtemps à porter ailleurs les consolations et les