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craindre que, rentrant à Londres avec tout le prestige attaché à l’accroissement de sa fortune Wilmot y retrouvât disponible la main de miss Kilsyth, elle s’était sentie en proie à certaines inquiétudes dont il lui fut particulièrement doux d’être délivrée. Elle ne se dissimulait pas que la nouvelle situation du filleul de Foljambe allait, selon toute probabilité, rendre plus ardue la conquête dont elle continuait à caresser l’espérance ; mais la disproportion de leur fortune les séductions plus ou moins désintéressées auxquelles Wilmot serait en butte, son entrée de plain-pied dans un monde où elle ne pourrait chercher à le suivre, n’effrayaient que dans une certaine mesure cette âme audacieuse. Le penchant du jeune docteur pour son intéressante malade lui avait au fond semblé bien autrement redoutable. — Avant qu’il n’ait changé de sphère, se disait-elle, avant que les nouvelles amitiés qui vont s’empresser autour de lui aient pris possession de son temps et de ses habitudes, c’est à moi de créer entre nous une intimité solide qui résiste aux enivremens du monde, et dont le charme l’attire encore, même quand de plus vifs plaisirs lui seront offerts ailleurs. La tâche est difficile sans doute, mais je ne veux pas la croire au-dessus de mes forces. S’il est vrai qu’il ait aimé miss Kilsyth et que la jalousie de Mabel n’ait pas été ce que je la croyais, c’est- à-dire une pure chimère, eh bien !… maintenant que miss Kilsyth est devenue mistress Ramsay Caird, peut-être vaut-il mieux qu’il en ait été ainsi. Le monde a moins de prises sur un cœur froissé ; le vrai baume pour certaines tristesses est une amitié discrète qui sait à propos leur ménager le silence et les consolations.

Rendons cette justice à mistress Prendergast que ses profonds calculs étaient purs de toute vue mercenaire, et que la nouvelle opulence de l’homme qu’elle avait aimé pauvre lui semblait un embarras bien plus qu’un avantage. Si elle eût ordonné à son gré la marche des choses, l’héritage Foljambe ne fût échu à Wilmot qu’après la victoire dont Henrietta se flattait, et, plutôt que de renoncer à cette victoire, elle eût très volontiers vu casser le testament de l’excentrique parrain. Toute autre façon dépenser l’eût peut-être rendue plus timide et plus réservée ; mais, sûre d’elle-même et de ses intentions, elle n’hésita point, aussitôt que lui fut signalé le retour de Wilmot, à lui écrire et à lui demander une entrevue Ainsi qu’elle l’avait prévu, il se montra d’autant plus empressé qu’il avait à se reprocher d’être parti de Londres sans prendre congé d’elle. Aux félicitations qu’elle lui adressait, il répondit en homme fort peu touché des bienfaits du sort. — Cette fortune qui m’arrive, disait-il, je la paie de la seule amitié sincère que j’aie encore rencontrée sur mon chemin ; mais je ne suis pas venu pour vous fatiguer de mes amères pensées… Vous avez, me dites-vous,