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Cette richesse, qu’il avait d’abord accueillie avec une méprisante indifférence, n’allait-elle pas le placer dans de nouveaux rapports avec une société où le talent ne donne jamais qu’une situation relativement subalterne, mais pour qui l’opulence est une idole et l’oisiveté un signe d’élection ? Naturellement il songeait avant tout à Madeleine. Pourquoi la lui refusait-on naguère ? quelle était l’objection de Ronald Kilsyth ? C’est qu’on s’exposait à des conjectures plus ou moins malveillantes sur le mariage du jeune médecin avec une personne à laquelle il avait donné ses soins, et qu’il avait pu aimer à une époque où cet amour était coupable ? Mais les propos auxquels donnerait lieu le mariage de Madeleine avec Chudleigh Wilmot avant ou après le legs qui venait de les mettre au même rang social, ces propos différeraient essentiellement. Le monde, volontiers sévère pour ce qu’il regarde comme une mésalliance, trouve très simple, très naturel qu’une jeune personne du meilleur monde, dotée de vingt mille livres sterling, épouse n’importe qui possédant une fortune double ou triple de la sienne. En pareil cas, il n’y a plus de malentendus à craindre ni de commentaires désobligeans à essuyer. Toutes les convenances se trouvant observées, les méchantes langues n’ont plus qu’à se taire. A mesure que cette idée germait et prenait consistance dans la tête de Wilmot, de nouvelles perspectives plus souriantes les unes que les autres se dessinaient devant lui. Cette vie d’exil qu’il envisageait naguère comme le châtiment de ses erreurs n’allait-elle pas se métamorphoser en un long enchantement ? Sans doute il vivrait loin de l’Angleterre, mais non plus dans cet isolement dénué de toute espérance, non plus dans une triste cité d’Allemagne, en compagnie de quelques vieux savans. Les étés, il les passerait dans son pays ; mais chaque hiver, attentif à protéger la fleur délicate qu’on allait remettre en ses mains, il emmènerait Madeleine sous des cieux plus démens. Ils habiteraient ensemble les bords de la Méditerranée, peut-être à Cannes, peut-être à Naples, qui sait ? peut-être sur la côte algérienne.

Ah ! certes il fallait partir, partir sans un instant de retard… Les attorneys le rappelaient. L’opinion devait s’étonner déjà qu’il ne fût pas revenu au premier signal. Jamais il ne pourrait dissiper assez tôt par ses explications et sa présence les doutes, fâcheux qu’un si long retard avait dû faire naître. Ainsi préoccupé ou du moins se donnant à lui-même ces excellentes raisons, Wilmot emplissait à la hâte ses malles de voyage, quand la nécessité lui apparut de faire viser son passeport. Il n’était que temps, les bureaux fermant une heure plus tard. On le vit sortir littéralement transformé de cet hôtel où il avait déjà une réputation de misanthrope apathique et maussade. Le haus-knecht ou garçon d’hôtel voulut