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ses préoccupations, son langage, quelque soin qu’il mît à respecter la faiblesse du malade, n’ont-ils pu lui révéler vaguement ce qui se passait ? Admettez l’explication que vous voudrez, il y a un fait certain, c’est que du mois de septembre 1848 au mois d’août 1849 la folie du patient offrit un caractère particulier d’exaspération, et que la Hongrie abattue, il s’affaissa subitement dans un calme de mort.

Le cause hongroise a succombé ; lui aussi, désormais ce n’est plus qu’une ruine. Voyez-le, morne, silencieux, l’œil éteint, la paupière inerte. Mieux valaient ses emportemens de la veille ; comment avoir prise sur ce néant ? On dirait en vérité le commencement de la mort. C’est l’état de son pays qui se reflète en sa personne. Il est toujours plein de vigueur cependant, et si les forces morales n’étaient pas altérées, rien chez lui n’annoncerait un malade. La robuste armure des organes résisterait encore à plus d’une atteinte, pour peu qu’il voulût défendre sa vie. A quoi bon ? Pourquoi ces soins dont on l’entoure ? Que lui veulent ces serviteurs empressés ? que signifient ces témoignages de sollicitude et d’affection ? Sa dignité, lui dit-on, exige qu’il s’habille décemment, qu’il ne renonce pas au soin de sa personne, qu’il ne donne pas à ses amis un spectacle repoussant. Sa dignité ! ses amis ! l’image qu’il doit laisser de lui-même ! Ces paroles le surprennent ; il a su cette langue autrefois, et il en a perdu le sens. L’homme qui a ranimé tout un peuple au souffle de son inspiration puissante a besoin d’être conduit comme un enfant.

S’il se réveille peu à peu de cet engourdissement léthargique, c’est pour retomber sous le coup du remords immérité qui a bouleversé sa raison. L’idée fixe d’où est venue sa. folie est la seule chaîne qui le rattache au monde des vivans. Seulement aux accusations violentes a succédé une tranquillité plus effrayante que ses fureurs. Une étrange loquacité s’empare de lui. Il faut qu’il par le de ses fautes, qu’il en par le sans cesse, sans fin, à tout venant. Ce sont les litanies du repentir. Il les psalmodie pour ainsi dire perpétuellement. Quiconque s’offre à lui, fût-ce le dernier des serviteurs, doit écouter sa confession. Il peut rencontrer un interlocuteur capable de le comprendre ; combien s’en trouve-t-il aussi pour qui ces lamentations monotones sont absolument lettre close ! N’importe, il continue toujours. Bizarre et douloureux spectacle ! le promoteur de la renaissance hongroise du XIXe siècle s’accusant, s’injuriant, s’humiliant à plaisir devant des idiots ! C’était le moment où le plus brutal des vainqueurs, Haynau, prétendait courber une race héroïque sous le régime du sabre et du fouet.

Cela dura ainsi deux années. Vers la fin de 1850, un symptôme nouveau apparut, faible lueur dans cette nuit épaisse. Il s’ennuyait.