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particulières contre les Magyars, était venu se heurter en vain contre l’armée hongroise, rassemblée à Pákord. Seize mille Hongrois, commandés par le général Moga, avaient tenu tête le 29 septembre aux trente mille hommes du ban de Croatie, et bien que les deux armées, après une journée sanglante, eussent conclu un armistice de trois jours en maintenant leurs positions, Jellachich leva son camp dès le lendemain, se dirigeant du côté de Vienne. Poursuivi par Moga, il laissa prendre son arrière-garde par les vainqueurs, licencia lui-même une partie de ses traînards, qui l’embarrassaient, et, ne gardant qu’une quinzaine de mille hommes, ses meilleures troupes, il chercha un refuge sur le sol autrichien, au moment même où éclatait à Vienne la révolution du 6 octobre. Que fût-il arrivé, si le général Moga, profitant de la déroute de Jellachich, l’eût poursuivi l’épée dans les reins au-delà de la frontière de Hongrie, tandis que les révoltés de Vienne eussent tenu en échec les troupes de Windischgraetz ? Le chef magyar hésita. Il avait agi résolument tant qu’il avait eu à repousser l’invasion austro-croate ; avait-il le droit de franchir la frontière avant que la guerre fût officiellement déclarée ? Ces scrupules du général étaient bien autrement vifs chez un bon nombre de ses officiers. Il y avait beaucoup d’Allemands dans les cadres de l’armée hongroise. Ceux qui s’étaient battus volontiers contre les Croates désavoués par l’empereur pouvaient-ils se battre contre les défenseurs de l’empire ? Déjà bien des soldats désertaient, bien des officiers donnaient leur démission ; il fallait reconstituer cette armée victorieuse hier, aujourd’hui démembrée. D’autre part, les insurgés de Vienne, aimant mieux sans doute arracher des concessions au gouvernement impérial que de lier leur cause à celle des Hongrois, montraient peu d’empressement à écouter leur appel. De là, pour des motifs divers, les lenteurs qui paralysèrent la victoire du 29 septembre. Quand l’armée hongroise épurée par Kossuth vint attaquer Windischgraetz et essaya de tendre la main à l’insurrection viennoise, ce n’était plus l’armée qui, un mois auparavant, avait mis Jellachich en déroute. La discipline et l’expérience ne venant plus en aide au courage, les Hongrois furent vaincus. Cette défaite, triste fin d’une première campagne commencée d’une manière si brillante, eut lieu le 30 octobre 1848 dans les plaines de Swéchat, à quelque distance de cette maison de Döbling, où le comte Széchenyi luttait misérablement contre ses fantômes. Tout ce tumulte, toutes ces clameurs arrivaient jusqu’à lui ; qui sait si des visions plus effrayantes n’obsédaient pas le cerveau du patient, tandis que les soldats de la Hongrie se dispersaient sous le canon de l’Autriche ?

« Széchenyi, dit un écrivain hongrois, était véritablement