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autrement le caractère de l’ouvrier ! Perdant alors la confiance en ses propres énergies, il n’espère plus rien que d’un homme. Les travailleurs d’outre-mer, n’ayant jamais passé sous un tel régime, n’attendent de l’état que ce que lui demandent les autres classes de la société, — quelques lois générales de protection et surtout la liberté d’agir par eux-mêmes.

Le seul danger qui accompagne l’extension du suffrage est l’ignorance. L’Angleterre, étant entrée dans la voie de la démocratie, devra sans doute suivre l’exemple de l’Amérique, où l’on compte sur la diffusion des lumières bien plus que sur l’autorité pour faire respecter les lois et la volonté de tous. « Occupons-nous d’apprendre à lire à nos futurs maîtres, » disait avec quelque amertume, mais après tout avec beaucoup de sagesse M. Lowe. La Grande-Bretagne avait déjà compris ce devoir peu d’années après le succès du premier reform bill. L’état, qui en 1832 ne donnait pas un denier à l’instruction publique, dépense aujourd’hui près de 700,000 livres sterling (17,500,000 francs) par an pour l’éducation des enfans de la classe ouvrière. Peut-être sera-t-il urgent de multiplier les sacrifices, d’élever le niveau de l’enseignement primaire et même de rompre le lien qui l’attache à l’église. Toutes les réformes s’enchaînent, et c’est seulement à cette condition qu’elles modifient le caractère des institutions anciennes sans les troubler ni les détruire. On peut d’ailleurs juger des progrès qu’ont faits l’éducation et le goût de la lecture dans tous les rangs de la société anglaise par l’accroissement du nombre des journaux. Il n’existait en 1832 dans la Grande-Bretagne que très peu de feuilles quotidiennes, et le prix de l’abonnement les mettait tout à fait hors de la portée des classes ouvrières. Aujourd’hui l’artisan se rendant le matin à l’atelier peut acheter pour un denier le Daily Telegraph, le Standard ou le Morning Star, huit grandes pages d’impression donnant toutes les nouvelles du globe. Un rapport de la chambre des communes nous apprend qu’il se publiait en 1866, pour l’Angleterre et le pays de Galles, 1,393 journaux. Derrière les feuilles quotidiennes, dont quelques-unes se tirent à un nombre formidable d’exemplaires, s’envolent tous les samedis les journaux de la semaine, qui se vendent également à très bon marché et dont le nom est légion. Ce qui a donné lieu à cet essor de la presse est en grande partie l’exemption du timbre, de l’impôt sur le papier et d’autres droits que le fisc prélevait autrefois sur l’expression de la pensée en Angleterre. Bien loin de regarder le silence comme une sorte de correctif du suffrage plus ou moins universel, nos voisins cherchent au contraire dans la liberté de la presse et de la parole le remède aux blessures dont pourrait souffrir la constitution de la part des classes