Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

différent entre elles, des intérêts distincts, des opinions qui appartiennent à certains groupes. Le meilleur système électoral aux yeux des Anglais est celui qui exprime le mieux toutes ces nuances. Or jusqu’ici le capital, l’industrie, le talent, se trouvaient très bien représentés au sein du parlement ; mais en était-il de même du travail manuel ? C’est pour combler cette dernière lacune que les législateurs ont cru à propos d’admettre les ouvriers à la faveur du vote dans des conditions qui ne peuvent d’ailleurs ni déborder ni absorber les intérêts des autres classes. Une telle mesure ainsi comprise ne se montre nullement destinée à détruire, elle doit plutôt fortifier la constitution anglaise, dont elle élargit la base.

Ce dont on cherche le plus à effrayer la Grande-Bretagne est le fantôme des trades’ unions. Ces confréries ouvrières disposent à coup sûr d’une organisation très forte, et tout annonce chez elles le dessein de s’en servir dans les élections. En agissant ainsi, ne suivront-elles point d’ailleurs l’exemple des autres classes, qui ont également des associations puissantes pour leur tenir tête ? Et puis, sous l’impression de faits dont la connaissance était bien de nature à jeter l’alarme dans les esprits, n’exagère-t-on point de beaucoup l’influence et les menées secrètes des unionists sur un tout autre terrain que celui du travail ? Les Broadhead ne sont point des hommes politiques, et ce n’est nullement de leur bouche que les ouvriers recevraient le mot d’ordre pour des entreprises qui exigent le grand jour et le concours d’un nombre considérable de membres appartenant à diverses industries. Les travailleurs anglais se sont trouvés trop bien de la liberté pour renoncer aujourd’hui à un régime sous lequel depuis moins d’un demi-siècle ils ont conquis tant d’avantages et une véritable importance dans l’état. Quelle tyrannie, fût-elle instituée à leur profit, aurait pu leur donner la force morale que nul ne leur conteste aujourd’hui ? Ayant grandi dans la lutte, et sous l’empire d’une constitution dont le principal mérite est de respecter tous les droits, ils ne connaissent guère cette soif de l’égalité qui, faute de mieux, court s’abreuver aux égouts du despotisme. Certes ils peuvent très bien se tromper sur certaines questions d’économie politique ; mais, tout en défendant le terrain de leurs expériences, ils ne se paient ni de mots ni de chimères. Ce qui les distingue est-au contraire la foi dans des institutions politiques laissant chacun maître de son sort et responsable de ses œuvres. Ces institutions, que gagneraient-ils d’ailleurs à les changer ? Dans d’autres pays, les classes éclairées trouvent encore le moyen de résister dans une certaine mesure aux influences énervantes, du gouvernement personnel, contre lequel l’intelligence fournit du moins quelques armes pour se défendre ; mais combien un pareil système altère tout