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démocratique que le bill de 1866. Il abolit la restriction du cens que M. Gladstone avait respecté tout en l’abaissant. Le projet de loi proposé par le chef du parti libéral devait admettre environ 300,000 nouveaux électeurs aux honneurs du scrutin, c’est aujourd’hui de 1 million et demi de votans dont il est question en Angleterre. Au suffrage universel la mesure soutenue par le talent et les efforts de M. Disraeli n’oppose guère d’autre limite que la garantie du domicile et le paiement de la taxe des pauvres. Cette dernière condition pourra bien donner lieu à plus d’un genre de difficultés que tout le monde prévoit, et une autre législature devra sans doute modifier sur ce point le texte des statuts[1]. Quoi qu’il en soit, l’Angleterre n’a point perdu pour attendre, et la nouvelle loi satisfait à peu près les esprits les plus exigeans. Ce triomphe a sans doute retrempé les forces du parti tory ; le moteur du progrès s’est en quelque sorte déplacé, et par un de ces changemens subits qui distinguent l’aristocratie anglaise on a vu s’ouvrir et s’aplanir le chemin du côté même où l’on attendait un obstacle. Nullement effrayés des libertés et des droits de la multitude, surtout quand ils sont au pouvoir, les conservateurs ont au-delà du détroit l’art de vaincre leurs adversaires en les devançant quelquefois dans la pratique des réformes. D’un autre côté, les classes ouvrières, quoique attachées de cœur à M. Bright et reconnaissantes envers M. Gladstone de ce qu’il a fait pour elles, se souciaient assez peu de quelles mains elles recevraient leur affranchissement politique. Le seul parti qui ait un peu souffert dans la victoire même de ses idées est le parti libéral. Déjà désorganisé en 1866 par une tentative infructueuse, il a vu depuis s’accroître dans ses rangs les défections et les causes de discorde. Heureusement les opinions ne s’effraient point en Angleterre de ces échecs passagers. Les partis politiques, bien loin d’être accusés chez nos voisins de troubler et d’agiter le pays, ont toujours été considérés au contraire comme les sauvegardes du gouvernement, qu’ils avertissent et dirigent même quelquefois dans un moment de danger. Appuyés sur des groupes d’intérêts distincts, sur des traditions anciennes et sur les vœux des générations nouvelles, ils ne s’éteindraient au-delà du détroit qu’avec le dernier souffle de la liberté. On n’en est point là, Dieu merci, et les amis de

  1. Jusqu’ici, pour beaucoup de petites maisons et de cottages à bon marché, c’est le propriétaire qui se charge d’acquitter lui-même tous les impôts. D’après les dispositions du nouveau reform act, nul locataire ne pourra pourtant être électeur à moins qu’il ne verse lui-même entre les mains du percepteur la taxe des pauvres. Il est il craindre que le recrouvrement ne soit dans plus d’un cas très laborieux, car les ouvriers logés à la semaine ont contracté l’habitude de se regarder comme exempts de toute autre charge une fois qu’ils ont payé leur loyer.