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menacées et de se replier sur le principe même de la loi. Avec quel art il sut à diverses reprises dérober ses meilleures flèches dans le carquois de ses adversaires ! En écoutant parler le chancelier de l’échiquier, plusieurs songeaient à M. Bright, dont les instrumens de combat avaient en quelque sorte passé sous l’armure du gouvernement. Le nouveau système électoral appartient bien à toute la chambre ; mais si M. Gladstone, M. Stuart Mill et quelques autres y ont introduit certains élémens, M. Disraeli peut du moins revendiquer la plus grande part du succès. De toute autre main que celle d’un ministère tory un pareil projet de loi n’aurait jamais été accepté ; les libéraux n’auraient pas même osé le présenter, tant ils auraient été assurés d’une défaite.

Si le concours d’un cabinet appuyé par les conservateurs pouvait seul entraîner la chambre des communes vers une mesure aussi radicale, qu’était-ce donc en ce qui regarde la chambre des lords ? C’est surtout là qu’on considérait comme odieux un système de réforme derrière lequel on apercevait distinctement l’influence de M. Bright et la victoire des agitations populaires. « La voix est bien celle de Jacob, mais les mains sont celles d’Ésaü, » disait un membre de la chambre haute rappelant un passage de la Bible au sujet du bill que défendait le ministère tory. Sans l’autorité de lord Derby et sans le prestige de l’ancien drapeau aristocratique sous lequel s’abritait tout à coup le household suffrage, il est probable que le projet de loi aurait rencontré de la part des nobles lords du royaume une bien autre résistance. De son passage à travers la chambre haute, le reform act ne garde aujourd’hui qu’une seule modification, et encore cet amendement peut-il être considéré comme un hommage indirect rendu aux idées de M. Stuart Mill sur la représentation des minorités[1]. D’autres y ont vu une vengeance personnelle contre M. Bright, condamne, selon toute vraisemblance, par le nouvel arrangement des votes à être élu côte à côte avec un collègue tory pour la ville de Birmingham. Le moyen dans tous les cas de s’étonner que beaucoup de nos voisins aient envisagé la nouvelle loi comme l’œuvre du parti radical patronnée par une administration de conservateurs ?

Le reform act de 1867 est à coup sûr beaucoup plus

  1. M. Mill avait proposé d’étendre à toute l’Angleterre un système d’après lequel l’électeur non-seulement serait maître de son vote, mais encore choisirait lui-même ses candidats. Les minorités, aujourd’hui absorbées, supprimées par les majorités, pourraient, en vertu d’un mécanisme qu’indiquait l’orateur, compter pour ce qu’elles valent dans le gouvernement du pays. C’est cette idée que dans un intérêt de parti la chambre des lords a voulu appliquer à un petit nombre de grandes villes pour y balancer l’influence démocratique.