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mais est-ce bien d’eux qu’on aurait attendu le household suffrage ? Lord Derby et M. Disraeli jugèrent pourtant avec raison qu’aucune autre mesure ne satisferait le pays. Sur ce terrain, le ministère n’avait certes rien à craindre du parti radical, qu’il était résolu à étonner par l’étendue de ses concessions ; mais ne devait-il point aussi compter avec les membres de la droite ? Comment ces derniers accueilleraient-ils un projet de loi qui bouleversait toutes leurs idées ? Il fallait à coup sûr de fortes raisons et un grand art pour conquérir certains caractères ombrageux dans les rangs d’une majorité peu sûre et peu compacte. Cependant la chose était plus facile en Angleterre que partout ailleurs. Soit esprit de discipline ou sagesse, les conservateurs d’outre-mer savent très bien renoncer à leur système de résistance lorsque l’exigent la volonté des chefs et la force des événemens. M. Disraeli lui-même n’était-il point décidé à leur montrer l’exemple de la bravoure et de la confiance en la nation ? Il était évident que le pays voulait une réforme électorale, et le parti tory n’avait-il point tout intérêt à prendre hardiment l’initiative d’une large mesure bien faite pour déconcerter ses adversaires ? C’est avec cette conviction que le ministère allait aborder le parlement.

A peine les chambres furent-elles assemblées qu’on put s’apercevoir du travail qui s’était fait dans les esprits. M. Lowe, un des seuls hommes, il faut lui rendre cette justice, dont l’opinion fût demeurée inflexible, dut cruellement souffrir des caprices de la faveur politique. Tout autour de lui quelle révolution morale ! L’orateur qui l’année dernière exprimait les sentimens de la majorité (il y a bien lieu de le croire aux applaudissemens dont sa, voix était couverte) faisait maintenant valoir avec la même éloquence les mêmes argumens au milieu d’une salle qui n’avait plus d’échos. En vain cherchait-il à conjurer par de sinistres prédictions une mesure qu’il considère comme grosse de catastrophes, à l’ancien enthousiasme de la droite avait succédé le glacial silence de l’incrédulité. Il est vrai que l’embryon de réforme électorale proposée d’abord par M. Disraeli a subi de son côté de bien étranges métamorphoses. Presque toutes les garanties dont il avait jugé à propos d’entourer le household suffrage, soit par conviction personnelle, soit pour ménager les scrupules de ses amis, ont successivement disparu dans la discussion. Le reform act de 1867, tel qu’il sortit enfin des débats et des diverses épreuves du vote, est autant l’œuvre de l’opposition que celle du ministère. En général habile, M. Disraeli a su plus d’une fois battre en retraite pour s’assurer après tout la victoire. Ayant refusé de faire du bill une question de parti, il n’en était que plus libre d’abandonner au besoin ses positions