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quartiers-généraux à Birmingham, à Manchester, à Glasgow, dans une partie de l’Yorkshire et sur beaucoup d’autres points. Là, des foules de cent et deux cent mille hommes quittaient leurs travaux à un jour donné, marchaient avec ordre et se réunissaient sur quelque lande déserte, obéissant pour ainsi dire à un signe et à la voix d’un orateur populaire. Lorsque des hommes comme lord Derby déclarent qu’il y avait péril en la demeure, on peut bien les croire sur parole. En vain chercherait-on à dire que les Anglais n’ont point l’humeur turbulente et belliqueuse des races latines. On oublie que nos voisins avaient fait deux révolutions dans un temps où la France tremblait encore sous la monarchie absolue de Louis XIV. Si depuis ils se sont rattachés à leur gouvernement et si l’esprit de conservation domine parmi les ouvriers eux-mêmes, c’est précisément parce que la nation avait obtenu ce qu’elle voulait ou du moins le moyen de le conquérir. Tout peut ici s’obtenir avec le temps par la force morale de l’opinion publique, aidée de la presse, du droit de réunion et de la liberté de la parole ; mais du jour où cette large voie ouverte aux progrès et aux réformes pacifiques viendrait à se fermer, le flot monterait, et la menace éclaterait avec la fureur de la tempête. Certes les classes supérieures, le parlement et les grands pouvoirs de l’état ont tout intérêt à prévenir une telle agitation. Il est bien vrai que, dans cette dernière campagne pour la conquête d’un droit, l’irritation des esprits n’en était point encore arrivée au point de 1832, où des ouvriers de la province (on le sait aujourd’hui) aiguisaient leurs piques pour marcher sur Londres. Les hommes d’état qui vivaient alors et qui gouvernent aujourd’hui l’Angleterre avaient d’ailleurs gardé bonne mémoire de ces temps orageux et n’avaient nul désir d’en provoquer le retour. Des rassemblemens capables, comme l’a dit un orateur tory, il de balayer devant eux des armées, » devaient sans doute appeler l’attention des ministres, et cependant le danger n’était pas que dans la rue. La discussion à laquelle avait donné lieu le reform bill commençait à entraîner les esprits bien au-delà des limites d’une simple mesure parlementaire. C’était la constitution elle-même qui de jour en jour se trouvait appelée à la barre de l’opinion publique.

Ces foules qui réclament un droit et poursuivent une conquête morale sont-elles d’ailleurs bien celles que doit craindre l’Angleterre ? Elle a dans son sein d’autres ennemis. Presque au même temps où s’avançait dans Londres l’armée pacifique des réformistes éclataient à Deptford, à Greenwich et jusqu’aux portes de la capitale des troubles d’une nature fâcheuse. Le long du cours de la Tamise se groupent plusieurs industries qui vivent surtout de la navigation. Durant l’été, tout va encore assez bien ; mais, quand