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occupée par des jets d’eau et des statues. C’est là que se tenait le parlement de Westminster. Le spectacle était à coup sûr curieux : sur une estrade en bois adossée à la base du monument de Nelson figuraient les orateurs et le conseil de la reform league, M. Beales, le colonel Dixon et quelques autres. Des drapeaux formaient une sorte de tenture autour de laquelle flambaient des langues de feu ressemblant à autant de torches renversées. De jeunes ouvriers, gravement assis sur les grands lions de bronze qui accompagnent les bas-reliefs de la colonne, maintenaient envers et contre tous la position qu’ils avaient escaladée. Le reste de l’auditoire se massait autour de l’estrade, et, debout sous un ciel grésillant, écoutait les discours qu’à cause du bruit des voitures et par suite de la distance des orateurs on entendait fort mal. Les agens de l’autorité, qui avaient reçu le mot d’ordre, évitaient d’intervenir dans les groupes, et les réformistes faisaient eux-mêmes leur police. Le respect du droit de discussion est chez nos voisins une habitude prise, une seconde nature. Un policeman de Londres me racontait dans une autre circonstance qu’un orateur en plein vent lui avait donné beaucoup de besogne. — « Pour lui imposer silence ? demandai-je avec la bonne foi d’un étranger. — Non, reprit-il d’un l’on calme, pour empêcher qu’on ne fouillât dans ses poches et dans celles de ses auditeurs ; il y a tant de pick-pockets ! »

Les meetings furent à plusieurs reprises secondés par les démonstrations populaires. Les adversaires de toute réforme électorale ne cessaient de répéter que les ouvriers anglais étaient indifférens à cette mesure, a Où se trouvaient ceux qui réclamaient des droits politiques ? » À ce défi qui était en même temps un appel, les trades’ unionists répondirent : Nous voici ! On trouva même bientôt qu’ils se montraient beaucoup trop. Il suffira d’indiquer à distance les traits principaux qui m’ont le plus frappé dans ces grands concours de peuple enrôlé au service d’une idée. Par deux fois j’ai vu défiler dans les rues de Londres l’armée du travail, l’avant-garde des chefs et des maréchaux ferrans à cheval avec leurs écharpes et leurs rosettes, les divers corps de métiers s’avançant musique en tête avec des centaines de bannières déployées, des modèles indiquant l’industrie particulière de chaque groupe et portés en triomphe. La police et l’armée brillaient par leur absence ; qu’avait-on d’ailleurs besoin de leurs services ? La tenue et la discipline de cette multitude enrégimentée étonnaient de vieux généraux eux-mêmes accourus pour voir un tel spectacle du haut du balcon de leur club. La vérité est que les chefs du mouvement, sentant qu’une grande responsabilité pesait sur eux, avaient pris d’avance toutes les mesures et toutes les précautions pour éviter le désordre. On n’agite pourtant ni la