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les plates-ban des dévastées, les pierres elles-mêmes descellées par les rudes mains des envahisseurs. Un spectateur ignorant de ce qui s’était fait la veille aurait pu croire qu’un déluge avait passé par là. Du 23 au 25 juin 1866, la lutte continua entre le peuple, qui voulait entrer ou rester dans le parc, et les policemen unis aux soldats, qui cherchaient à le repousser. Comme il arrive toujours en pareil cas, l’exaspération croissait de moment en moment, lorsqu’il fut convenu avec le gouvernement que celui-ci retirerait les troupes et que le président ainsi que le conseil de la reform league chercheraient à rétablir l’ordre. Le soir du 25 en effet, les chefs du mouvement apparurent sur le terrain transformés en messagers de paix, et d’un signe ils dispersèrent la foule, qui s’évanouit aussitôt. Le ministère a été deux fois malheureux avec la question des parcs. Est-ce à dire que sa conduite ait été timide ? Je crois au contraire qu’il s’est montré très sage en évitant un conflit avec des masses, exigeantes. En Angleterre, le gouvernement n’a point la ridicule prétention de sauver la société, qui ne se croit nullement en péril tant que la nation dispose librement de ses destinées. Sans doute il aurait pu se donner le facile plaisir de déployer une grande force armée et peut-être même recueillir les tristes honneurs d’une victoire plus ou moins ensanglantée, mais combien graves auraient été les conséquences ! A quoi lui aurait-il servi de rester, comme on dit, maître du terrain dans un pays où le fait brutal ne prouve rien et où les auteurs de toute répression violente ont bientôt à compter avec les mille voix de l’opinion publique indignée ? Et puis le pouvoir est bien faible chez nos voisins tant qu’il ne se sent pas très certain d’avoir pour lui le droit. Les parcs de Londres appartiennent-ils au peuple ou à la reine ? La preuve que le ministère lui-même n’était pas entièrement fixé sur cette question, c’est qu’il demanda plus tard l’avis des magistrats et du parlement[1]. Il y avait dans ce cas de la part du cabinet tory un véritable courage moral à reculer devant d’honorables scrupules et à ne point poursuivre jusqu’au bout un acte d’autorité.

Cependant la ligue et les autres sociétés réformistes continuaient d’agiter la population. Les meetings succédaient aux meetings. Une fois par semaine, au tomber de la nuit, le piédestal de la colonne de Nelson dans Trafalgar-Square se transformait en tribune. Cette place de Londres est l’une des plus bruyantes et des plus traversées par les voitures ; toutefois entre la colonne et le musée de tableaux (national gallery) s’étend une sorte de plate-forme en granit

  1. La proposition de M. Hardy, votée par la chambre des communes, semblait devoir trancher la question ; mais le ministère tory retira ce projet de loi par déférence pour le parti radical.