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souveraineté du peuple auraient aujourd’hui mauvaise grâce à dissimuler leurs amères désillusions. Dans la Grande-Bretagne, où règne une si notable différence entre les ouvriers de la terre au sein des campagnes et les artisans des villes, le danger d’étendre aveuglément l’exercice d’un droit politique est encore bien plus frappant que dans les autres pays. La misère et l’ignorance de ce que les Anglais appellent agricultural labourers, leur situation dépendante des maîtres du sol, les exposent à plus d’un genre d’erreur ou de séduction. Quoi qu’il en soit, manhood ou household suffrage, tout cela était bien en avant du reform bill présenté par M. Gladstone devant la chambre des communes. Les divers comités résolurent pourtant d’appuyer en 1866 les efforts du ministère libéral, tout en consignant leurs réserves et en espérant mieux pour l’avenir ; mais quand fut rejeté ce projet de loi, les masques tombèrent. En Angleterre, la résistance ne fait guère qu’exciter les exigences des partis. Ceux qui auraient consenti d’abord à une simple réduction du cens électoral se montrèrent tout à coup beaucoup moins traitables, et se rangèrent autour des devises inscrites sur les drapeaux de la reform league. On raconte que M. Gladstone aurait dit.alors aux députés qui l’avaient abandonné dans la lutte : « Vous n’avez pas voulu de mon plan de réforme électorale, en bien ! vous en aurez un autre qui vous étonnera et que vous serez forcés de voter. » C’est ce qui est arrivé.

Si le ministère de lord Derby avait un instant nourri l’espoir de se maintenir au gouvernail sans être assailli par plus d’une bourrasque, le ton irrité de la presse, les meetings de nuit et aux flambeaux dans Trafalgar-Square, ce centre de Londres, les véhémens défis des orateurs en plein vent, tout dut bientôt l’avertir qu’il s’était trompé. La chambre, tout en repoussant le bill de M. Gladstone, avait laissé derrière elle une dette morale qui déjà s’était accrue des arriérés, et c’est au nouveau cabinet que s’adressait l’opinion publique pour en obtenir le règlement. Dans un tel état de choses, le gouvernement anglais n’avait le choix qu’entre deux partis à prendre : il devait pactiser avec la tempête ou lui résister. Un instant il parut incliner vers ce second système. Un grand meeting qui avait été convoqué par la reform league dans Hyde-Park trouva les grilles et les entrées défendues par une armée de police sous les armes. Certes-le gouvernement, il faut lui rendre cette justice, ne déniait point au peuple anglais le droit de se réunir ni d’exprimer ses opinions. Ce qu’il contestait hautement, c’était qu’il convînt de transformer une promenade de Londres en un théâtre de démonstrations politiques. On connaît pourtant les scènes regrettables auxquelles donna lieu cette interdiction, — les grilles arrachées,