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n’est pas toujours dans les grandes cités où abondent les foyers de distractions que de telles académies ouvrières portent les meilleurs fruits ; on est quelquefois tout surpris de rencontrer dans les hameaux les plus fermes soutiens de ces institutions et les artisans les plus curieux de cueillir à l’arbre de la science. Qui ne devine l’influence de pareilles réunions sur la moralité des hommes occupés pendant le jour dans les ateliers ou les fabriques ? Plus l’ouvrier s’occupe des intérêts sérieux de l’esprit, et plus il s’éloigne des plaisirs grossiers. Pour le détourner des tap-rooms (chambres obscures et enfumées des public-houses) se sont aussi formés des clubs encouragés dans ces derniers temps par lord Shaftesbury et lord Lyttelton. Les working mens’ clubs (clubs d’ouvriers), établis d’après le même principe ou peu s’en faut que les brillantes sociétés de Pall-Mall, offrent à leurs membres un centre de conversation intéressante, des livres, des journaux, des concerts d’amateurs. Quelques-uns d’entre eux possèdent une bibliothèque spéciale se rapportant à telle ou telle branche d’industrie, ou de vieux recueils de ballades que leur aurait enviés Walter Scott. Au-dessus de toutes ces institutions s’élèvent les working mens’ colleges (collèges d’ouvriers), qui à Sheffield, à Halifax, à Salford, à Ipswick, à Londres, se proposent d’étendre à toutes les conditions sociales les bienfaits d’une instruction supérieure[1]. L’auteur de Tom Brown’s school days, M. Thomas Hughes, déclare lui-même avoir beaucoup acquis au contact du City of London College, dont il est un des principaux orateurs.

Après tant de généreux essais, faut-il s’étonner que l’ouvrier anglais soit maintenant respecté par les hommes de toutes les opinions ? Libéraux et tories rivalisent entre eux pour lui témoigner leur zèle et l’intérêt qu’ils prennent à sa cause. Je ne voudrais même point affirmer que les uns et les autres n’exagèrent quelquefois ses

  1. Le programme des études ferait honneur à plusieurs de nos universités. On peut en juger par le working mens’ College de Londres, qui a des classes de dessin, de musique vocale, d’histoire et de géographie, de grammaire et de littérature anglaise, de vieil anglais, de français, d’allemand, de latin, de grec, d’arithmétique, de géométrie, de trigonométrie, d’algèbre, de tenue des livres, de botanique, de physique et de zoologie. Des vingt-huit professeurs dont le nom figure sur le programme, douze sont d’anciens élèves de l’institution. En dépit du titre working mens’ College, les étudians ne sont pas tous des ouvriers ; il n’y en a guère que la moitié qui travaillent des mains, les autres sont des commis de boutique. Les résultats des examens destinés à contrôler les progrès des uns et des autres témoignent d’ailleurs que la supériorité serait plutôt en faveur des artisans, assure M. Ludlow, un des maîtres du collège.