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de la société des mécaniciens se présenta chez le ministre pour savoir si les trades’ unions seraient admises aux mêmes privilèges que les friendly societies en ce qui regardait les caisses d’épargne. Ces ouvriers lui déclarèrent alors avoir en réserve 67,000 livres sterling (1,675,000 fr.), et ils venaient demander son avis sur la manière de placer cette somme. Une telle démarche et l’aveu d’une telle prospérité frappèrent M. Gladstone au point qu’il en parla plus tard devant la chambre des communes.

Les efforts des ouvriers anglais pour améliorer leur bien-être méritent à coup sûr d’appeler l’attention de la France ; mais combien ils ont encore plus fait pour assurer le développement moral de leur classe ! Croyant avec la plupart des philosophes et des économistes de leur pays que l’homme sans instruction est un capital dormant, ils ont cherché à ouvrir chez eux ces sources vives de richesses qui résident surtout dans l’intelligence. Parmi les établissemens ayant le plus contribué à répandre les lumières dans les sombres régions du travail manuel, il faut citer les mechanics’ institutes. Il y a maintenant près d’un demi-siècle que lord Brougham leur prêta son concours ; mais ces institutions ne prirent vraiment un grand essor qu’à partir de 1835. Le mouvement était descendu d’en haut ; il fut pourtant convenu dès l’origine que les deux tiers ou même les trois quarts des membres formant le comité de direction seraient choisis parmi les ouvriers eux-mêmes. Depuis lors les applications de ce principe ont été poussées beaucoup plus loin ; dans un assez grand nombre de tels établissemens fondés à une époque récente, le comité tout entier se compose d’hommes payés à la semaine et vivant de leur salaire. En 1861, il existait chez nos voisins plus de 1,200 mechanics’ institutes, réunissant 200,000 membres, et tout porte à croire que le nombre s’en est encore augmenté. Dans les villes et même les villages au sein desquels fleurissent de semblables sociétés, l’élite des artisans, au lieu de prendre vers le soir le chemin du cabaret, se rend dans un bâtiment d’apparence agréable, où elle trouve des salles bien chauffées, bien éclairées, et tous les moyens de s’instruire. Une excellente bibliothèque, des salons de lecture avec des tables couvertes de journaux et de revues, des classes du soir pour l’écriture, l’arithmétique et la géographie, des cours publics sur les différentes branches de la science et de l’histoire, tels sont quelques-uns des avantages offerts à leurs abonnés par beaucoup de mechanics’ inslitutes. D’autres ouvrent des concours, distribuent des prix et dirigent vraiment l’éducation des travailleurs dans toute l’étendue d’un district[1]. Ce

  1. Un savant distingué, le docteur Hudson, chargé d’examiner les candidats, déclare que les classes ouvrières du Lancashire offrent dans leurs rangs des compétiteurs qui dépassent invariablement la classe moyenne. « En mathématique, ajoute-t-il, en chimie, en français, même en histoire d’Angleterre et en géographie, les commis de magasin et les teneurs de livres de Manchester sont très inférieurs aux ouvriers fileurs d’Oldham et des autres petites villes. »