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malades, à enterrer leurs morts, à secourir leurs veuves et leurs orphelins. L’organisation de quelques-unes d’entre elles ferait trembler tout autre gouvernement que celui d’un peuple libre. Les deux grands ordres sont la Manchester unity of odd fellows et l’ancient order of foresters. Le premier (celui des odd fellows), qui compte dans ses rangs 387,990 ouvriers et qui possède un fonds de réserve de 2 millions de livres sterling (50 millions de francs), est gouverné par un conseil de directeurs reliant les 3,671 loges sous la même autorité. Le second (je parle des foresters), qui se compose de 224,000 membres et qui distribue pour environ 220,000 livres sterling (5 millions 500,000 francs) de secours par an, obéit de son côté à un conseil exécutif de onze officiers. Qu’on se figure un tel état de choses sur le continent, une société qui échappe à toute surveillance et du sein de laquelle un petit nombre d’individus peuvent en moins d’une semaine, par un simple mot d’ordre, diriger vers un but commun les forces d’un demi-million d’artisans ; c’est pour le coup qu’on crierait à l’anarchie. Eh bien ! ces friendly societies[1] entourent au contraire le gouvernement anglais d’une ceinture d’assurance et de protection. Comment cela se fait-il ? Les ouvriers d’outre-mer respectent dans la constitution de leur pays un ordre de choses qu’ils n’ont aucun intérêt à renverser. Sans police secrète et sans armée (du moins si l’on fait la comparaison avec d’autres états), le pouvoir se défend chez nos voisins par la liberté qu’il garantit à toutes les classes de la société.

Il faut bien se garder de confondre les friendly societies avec les trades’ unions. Ces dernières n’avaient aucun moyen d’être jusqu’à ce qu’une modification de la loi permît aux sociétés ouvrières de régler les conditions du travail. Elles prirent naissance dans un temps où les enfans étaient enfermés jusqu’à seize heures de suite dans les fabriques de la Grande-Bretagne. Les trades’ unions ressemblent aux friendly societies en ce qu’elles distribuent des secours à leurs membres dans les cas de maladie ou d’accident ; mais, non contentes d’exercer les devoirs de la charité, elles prétendent en outre couvrir les différens corps de métiers d’un système de

  1. Aux sociétés déjà nommées, il faut ajouter le Loyal order of ancient shepherds. (l’ordre loyal des anciens bergers), l’ancien ordre des druides, les ordres unis des jardiniers libres (United orders of free gardners) et quelques autres encore. Autrefois les membres de ces confréries se montraient extrêmement jaloux d’étaler en public leurs étranges costumes, leurs écharpes, leurs tabliers et leurs nœuds de rubans. Aujourd’hui les ouvriers anglais attachent beaucoup moins d’importance à ces signes extérieurs. Les foresters se rendent pourtant tous les ans au Crystal Palace, où leur uniforme théâtral, qui rappelle celui de Robin Hood, leur procession et les exercices à l’arc, auxquels ils se livrent sur les tapis verts, attirent généralement un grand concours de spectateurs.