Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
REVUE DES DEUX MONDES.


changeait les diocèses, en supprimait d’anciens, en créait de nouveaux, étendait ou rétrécissait les limites des siéges suivant son caprice ou le besoin de sa domination. Au moindre regimbement de ses prêtres ou de ses moines, il en appelait aux châtimens séculiers, à la chaîne, à la prison, à l’exil, et les magistrats civils n’osaient lui refuser leur concours, car il était puissant près de l’empereur et bien servi par les officiers de la cour, dont il s’acquérait l’appui à prix d’or. « Il soudoyait à Constantinople, nous dit un contemporain, des espions au moyen desquels il savait tout ce qui s’y passait. » C’était lui la plupart du temps qui faisait nommer le préfet d’Alexandrie, et ce préfet n’oubliait guère durant son gouvernement à quel évêque il avait affaire.

Cette toute-puissance dans les deux sphères ecclésiastique et civile avait valu à Théophile le surnom de pharaon chrétien, et ainsi sa passion du pouvoir était satisfaite ; mais il en avait une autre non moins vive, celle du gain. L’avidité de Théophile était effrayante. Il aimait l’argent pour l’avoir et l’entasser ; il l’aimait pour étaler un faste favorable à son influence ; il l’aimait enfin pour corrompre, pour nuire, pour étendre sa domination, et il avait inventé de curieux moyens d’en acquérir, non-seulement sans blâme, mais avec gloire aux yeux de l’église, mettant résolument la religion de complicité dans ses vols.

La politique des empereurs romains depuis Constantin avait été de laisser les temples du culte païen se fermer d’eux-mêmes et les anciens dieux tomber de vétusté par la désertion de leurs adorateurs. De sages lois étaient même venues protéger ces vieux sanctuaires contre la destruction et la spoliation, souvent tentées sous couleur de zèle chrétien. Ainsi avaient été préservés ceux de l’Égypte, dont les richesses fabuleuses étaient restées à peu près intactes. Ces richesses enflammèrent la convoitise de Théophile. Il fut le premier, nous dit un écrivain polythéiste, qui foula aux pieds les lois de tolérance et de respect pour des pratiques séculaires, et la manière dont il conduisit cette guerre religieuse montre assez que le fanatisme n’en était ni le seul ni le plus grand mobile. Son choix se portait en effet sur les temples renommés par leur opulence et qui pouvaient rémunérer largement l’emploi de son zèle, tels par exemple que celui de Canope, contre lequel il dirigea en personne une expédition de pillage, il n’eut pas de cesse non plus qu’il ne fît, au cœur même d’Alexandrie, le sac du Sérapéum, dont les richesses étaient immenses et qui passait pour le temple le plus magnifique de tout l’univers après le Capitole. Le Sérapéum, entièrement bâti de marbre, était garni à l’intérieur de trois revêtemens métalliques superposés, le premier de cuivre, le second d’argent, le troisième d’or. Des statues plaquées d’or, des dons votifs