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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


on l’appelait l’évêché des montagnes. Le moine Dioscore, en l’acceptant, n’avait presque pas changé de condition, et on le retrouvait plus souvent dans son ancienne retraite qu’à Hermopolis la Petite, siége peu fastueux d’ailleurs de sa dignité épiscopale.

Les quatre frères s’étaient liés d’une étroite amitié avec un haut fonctionnaire de l’église d’Alexandrie, le grand hospitalier Isidore, et. cette amitié avait pris naissance pendant le voyage d’Athanase à Rome, où Isidore s’était trouvé le collègue d’Ammonius dans la suite du patriarche. Les Longs-Frères et lui se voyaient fréquemment, — fréquemment aussi l’hospitalier recourait à leurs sages avis dans les difficultés de sa charge, car il avait fort à lutter, contre la tyrannie et les mauvaises passions de son évêque.

Théophile, dont nous venons de parler, devant tenir une place considérable dans nos récits, comme il en occupe une dans les querelles ecclésiastiques de son temps, nous ferons connaître ce personnage un peu en détail, afin démontrer par quel enchaînement de faits étranges il put être amené d’Alexandrie sur le grand théâtre de Constantinople pour y partager la scène avec Jean Chrysostome, comme Satan avec Job dans le poème biblique qui porte ce nom.

Théophile passait parmi ses contemporains pour un des plus grands théologiens, mais aussi des plus méchans hommes de ce siècle. Doué d’un vaste savoir, fruit de profondes études à l’école d’Alexandrie, actif, intelligent, subtil, habile à tourner une difficulté autant qu’à combiner une attaque, il joignait à ses qualités des vices qui en faisaient autant de fléaux pour les autres. La science chez lui n’était qu’un moyen de satisfaire son ambition ou ses haines, l’acuité de l’esprit qu’un instrument de trames malfaisantes, l’activité qu’une menace contre tout homme ou toute doctrine qui donnait ombrage à ses prétentions d’omnipotence. Son intérêt était la seule règle de sa volonté, sa volonté la seule loi de son église. Il traitait les évêques de sa juridiction en véritables esclaves qu’on pouvait casser ou suspendre sans explication ni ménagement au moindre soupçon d’indépendance. En dehors de sa juridiction, glissant perfidement le pied dans les affaires de ses voisins, il se constituait le juge des évêques étrangers, juge redoutable, car il avait pour lui l’autorité de la science, et l’excommunication partie de ses mains produisait toujours l’effroi chez les uns, le doute chez les autres. Nul théologien du Ve siècle ne sut mieux que lui donner un corps à des fantômes d’hérésie. L’arme de son excommunication était donc presque toujours mortelle. Aussi s’était-il rendu redoutable dans les diocèses de Palestine et de Syrie, où beaucoup d’évêques faisaient volontairement soumission devant lui, comme devant le patriarche de tout le midi de l’empire. À l’intérieur de sa juridiction métropolitaine, il ne se contentait pas de faire et défaire les évêques, il