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d’être suivies de ruineuses réactions. Il serait donc utile de regarder enfin de près au point de vue politique et au point de vue économique, de regarder de près et avec sévérité à cet emportement des travaux de Paris ; on manquerait à la leçon que donne l’échec de la Compagnie immobilière, si l’on laissait aveuglément continuer cette gigantesque aventure.

La procédure parlementaire anglaise avait autrefois une formule qui serait bien de mise dans la présente situation de la France. En certaines occasions où l’opinion publique était confuse et troublée, un chef de l’opposition se levait et présentait une motion tendant à la réunion de toute la chambre des communes en comité pour prendre en considération l’état du pays, Là-dessus s’engageaient de vastes et longs débats, sorte d’enquête de la nation sur elle-même et qui était comme un éclairé et réfléchi témoignage de la conscience publique. Depuis que les Anglais ont de meilleurs gouvernemens, ils ont laissé tomber en désuétude ces examens de conscience patriotique qui nous seraient si nécessaires aujourd’hui. — Des contre-temps désagréables viennent parfois déranger la tranquillité anglaise. Il y a eu, par exemple, les scènes violentes des fenians à Manchester ; il y a les préparatifs de l’expédition d’Abyssinie ; il y a aussi avec les États-Unis la controverse interminable sur les indemnités réclamées pour les déprédations de l’Alabama. Il est cependant visible que la fin des débats de la question électorale, le vote de la loi de réforme, ont procuré à l’opinion publique anglaise une béatitude qu’elle se plaît à savourer. Un grand calme a succédé au mouvement des partis. On devient plus équitable. Les Anglais, comme les populations aux impressions vives et qui sont toujours rattachées au présent par l’activité de l’esprit et les intérêts du travail, deviennent vite les adulateurs du succès. La bienvenue avec laquelle ils accueillent la réussite sourit en ce moment à M. Disraeli. Ses anciens adversaires ne se refusent plus à le juger avec impartialité. Ou loue surtout la connaissance qu’il a des hommes et l’adresse avec laquelle il les sait manier. Un énergique journal qui naguère le déchirait à belles dents, apprivoisé par le succès mérité, se demande si la métempsycose n’existerait point en politique, et si l’esprit de Palmerston ne serait point par hasard passé sous la forme de Disraeli. L’aimable chancelier de l’échiquier, ainsi dorloté de louanges, prend ses vacances dans son domaine de Hughenden dans le Bucks. Il assistait l’autre jour à la fête de sa moisson et a régalé ses fermiers d’un familier et charmant discours, imprégné de ces parfums ruraux qui plaisent tant à l’imagination anglaise. Cette allocution champêtre a réjoui tout le monde par sa gracieuse bonhomie et son air de bonheur tranquille. M. Disraeli est invité à une grande réunion convoquée en son honneur à Edimbourg. Dans ce cadre, il prendra certainement l’attitude qui convient à la prééminence de sa nouvelle situation politique, et à laquelle le convie la faveur de l’opinion publique. Le rival du chancelier de l’échiquier, le chef du parti opposé, M. Gladstone, a pris, lui aussi,