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Nous n’avons point ces buts d’action nettement définis et franchement avoués dont la manifestation discipline le génie d’un peuple, rallie ses forces collectives, l’émeut d’une puissante émulation et l’entraîne avec confiance vers de nobles horizons. Ni au dehors ni à l’intérieur aucune route ne nous est ouverte où puisse courir et s’épandre avec sécurité le courant de notre vie nationale. La politique extérieure est pour nous un sujet d’inquiétude ; elle ne nous offre plus les perspectives attrayantes qui attiraient les jeunes ambitions de la France. Elle ne nous laisse plus à résoudre dans le mystère et l’incertitude des systèmes que d’arides problèmes d’équilibre. On l’a conduite de telle sorte que la France en est réduite à ruminer ce doute : a-t-elle conservé ou a-t-elle perdu son ancienne puissance relative en Europe ? Nous qui n’avons plus d’absorptions de races à consommer, demeurerons-nous spectateurs patiens des grandes agglomérations se formant sur notre continent selon la nécessité d’une loi fatale ? Ces grandes puissances qui s’improvisent auprès de nous ne sont-elles pas exposées à viser à des suprématies capables d’alarmer notre sécurité et d’offenser notre honneur ? Pour nous défendre contre cette incertitude indéfinie, faut-il que nous nous imposions le sacrifice épuisant d’armemens militaires gigantesques, et que nous nous condamnions à rester l’arme au pied tout le temps que durera la transformation européenne ? Cette anxiété est pour la France d’autant plus énervante que nos institutions intérieures ayant rétrogradé en arrière des principes de 1789, le pays n’a plus l’initiative de sa politique étrangère, et ses représentans ont perdu toute influence sur l’exercice du droit de guerre et de paix. Ce régime où l’explosion de la guerre et la mise de l’Europe en convulsion dépendent des volontés secrètes des politiques de cour et de dynastie, ce système barbare dont l’Europe avait été affranchie pendant les quarante meilleures années de ce siècle, a été remis en vigueur par la propre faute de la France. Les organes de la liberté intérieure nous manquent depuis seize années. Nous subissons visiblement aujourd’hui toutes les conséquences de cette funeste privation. Les mécomptes et les soucis de la politique étrangère nous confrontent maintenant avec les erreurs et les défauts de nos institutions intérieures. Or le rétablissement de la force morale, de la sécurité, de la sérénité de la France, dépend de la question de savoir si notre pays a l’intelligence de l’expérience qu’il a faite durant cette longue éclipse de la liberté, et comprendra les enseignemens que les derniers événemens lui ont donnés. La politique extérieure, nous l’avons dit, est obscure, incertaine, pleine de mystères et de précipices : la France n’y pourrait jouer un rôle dans les circonstances présentes avec la clairvoyance qui satisfait la raison et la sollicitude patriotique ; les seuls aspects de la situation étrangère, la tenant dans une attitude expectante et passive, suffisent pour lui infliger les charges et les inquiétudes d’une préparation militaire colossale.