Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/772

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est là le mal que Mme de Boigne, dans son roman de Romuald de Bauréal, a mis en lumière. On a supposé que son attachement à la reine Marie-Amélie et à la monarchie de 1830 lui avait attiré, de la part de ce qu’on appelle le faubourg Saint-Germain, des déplaisirs qui lui avaient donné de l’humeur. Je n’ai guère aperçu, ni dans son salon la cause, ni dans son langage la trace d’une telle disposition ; j’ai vu venir souvent chez elle les personnes les plus distinguées et les plus prononcées de la société dont elle aurait eu, dit-on, à se plaindre. Je ne sais si elles en avaient voulu à Mme de Boigne de son attitude et de ses amitiés politiques ; mais il n’y paraissait pas, et elles se plaisaient à prendre leur place dans les entretiens et leur part dans les agrémens de son petit salon. Quant à Mme de Boigne elle-même, je l’ai toujours entendue s’exprimer sur l’ancien régime, sur ses idées, ses sentimens, ses souvenirs, avec respect et sympathie ; mais, quand il serait vrai qu’elle aurait été quelquefois blessée de certains procédés et de certaines paroles de salon, l’humeur qu’elle en aurait ressentie n’ôterait rien à la vérité de ses jugemens et de ses tableaux du temps qu’elle décrit. C’est de leur valeur historique que je parle, non de la disposition intime de l’auteur. Sans nul doute les opinions et les impressions politiques de Mme de Boigne sont empreintes dans son roman comme elles l’ont été dans sa vie : c’est précisément son mérite d’avoir vu clair dans son temps et dans son monde et d’avoir parlé comme elle pensait.

Comme moraliste, elle avait en elle-même et elle a mis dans son roman contemporain un autre mérite, celui de comprendre et d’apprécier avec équité des idées, des dispositions, des conduites, très diverses, souvent même contraires. Notre temps est plein de fluctuations, de perplexités et d’incohérences ; tous les systèmes, tous les instincts, tous les désirs, tous les partis, s’y sont déployés les uns en face des autres et les uns contre les autres ; nous avons assisté aux emportemens de la licence et aux excès du pouvoir absolu, non-seulement en fait, mais en principe, et dans les esprits comme dans les événemens. Nous avons connu toutes les gloires et toutes les tristesses de la guerre, tous les bienfaits et toutes les langueurs de la paix. Nous avons eu à considérer ainsi les choses sous leurs aspects les plus différens, et ces différences se sont empreintes dans l’état intérieur des âmes comme dans les destinées du pays : des esprits très distingués et très sincères ont soutenu les théories de l’absolutisme, tandis que d’autres professaient celles de la liberté démocratique ; des cœurs très généreux se sont adonnés à la passion de la grandeur nationale par la guerre, tandis que d’autres invoquaient la paix par l’accord mutuel des nations et la justice cosmopolite. La nature humaine est merveilleusement riche