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et m’a qualifié de général. Je n’avais nulle envie de renouveler la plaisanterie d’où date ma fortune militaire ; mais je souriais intérieurement de l’occasion qui s’en représentait, lorsque avant de me congédier elle m’a complimenté sur le nouveau grade obtenu par ce qu’elle a bien voulu appeler ma belle conduite à Lutzen. Je lui ai dit l’apprendre de sa bouche. Elle m’a lu alors une phrase de la lettre de l’empereur, trop flatteuse pour que j’ose la répéter, même à toi ; mais elle est gravée dans mon cœur, et je la mériterai par la suite, si je ne la mérite pas encore. Je ne ferai pas du stoïcisme avec toi, mon cher Henri ; ce succès me comble de joie. J’aime mon métier avec passion ; je pourrai m’y livrer sur une plus grande échelle, et puis nous autres, amans de la gloire, nous nous complaisons, il le faut bien avouer, dans tous les hochets qu’elle a inventés pour nous séduire. En sortant du ministère, où l’on m’a confirmé la nouvelle donnée par l’impératrice, j’ai été acheter mes épaulettes, et je regarde complaisamment leurs étoiles en attendant l’habit brodé, déjà commandé. »

C’est dans cette situation ainsi marquée dès le début, dans les contrastes et les conflits qu’elle soulève entre le jeune gentilhomme, devenu l’un des héros de l’empire, et sa famille, sa société, imperturbables dans leurs sentimens, leurs préjugés, leurs antipathies et leurs propos d’ancien régime, que résident le mérite et l’intérêt de l’ouvrage. Comme œuvre romanesque, l’originalité, la verve, le mouvement clair et animé, l’invention et la passion y manquent ; la scène est chargée d’une foule de personnages et d’incidens qui s’embarrassent, s’obscurcissent et se refroidissent les uns les autres ; le héros lui-même, quand c’est non plus le guerrier, mais l’amoureux qui paraît, devient un peu puérilement sentimental, irrésolu, sans ardeur et sans harmonie morale. Le roman est compliqué et froid ; la physionomie historique du temps et dans l’histoire la disposition politique des âmes y apparaissent seules sous de vraies et vives couleurs.

D’habiles critiques ont fait ressortir d’une façon piquante les défauts et les insuffisances du roman. Je les reconnais comme eux ; mais je suis très touché de l’indépendance et de la fermeté d’esprit avec lesquelles Mme de Boigne a peint les fautes, je ne veux pas dire du parti, mais de la société à laquelle, elle était naturellement et elle est toujours restée attachée. Il y a des temps où il faut du courage pour dire la vérité à ses adversaires ; il y en a d’autres où il est surtout pénible de la dire à ses amis. De 1814 à 1848, l’attitude, les actes, le langage d’un grand nombre de personnes et de familles, héritières naturelles de l’ancien régime français, ont beaucoup nui, d’abord à leur propre cause, ensuite à la cause générale de la monarchie et du gouvernement libre. Ce sont là les erreurs,