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désintéressées qu’intimes ; par amitié comme par bon sens, elle embrassa sans hésiter la cause de la monarchie nouvelle. Dès le premier moment, elle eut l’occasion de lui rendre un signalé service. La prompte adhésion du corps diplomatique importait beaucoup au régime naissant, et dans le corps diplomatique l’ambassadeur de Russie, le comte. Pozzo di Borgo, était l’un des plus considérables. Mme de Boigne était fort liée avec lui, et il avait en elle grande confiance ; elle aperçut en lui un peu d’humeur, et avec une finesse de femme et d’amie elle en démêla la cause. Pozzo di Borgo craignait que le général Sébastiani, son ennemi de race et de parti en Corse, ne fût ministre des affaires étrangères. Mme de Boigne en avertit la reine, et, avant la formation du cabinet du 11 août 1830 elle put dire à Pozzo di Borgo que le général Sébastiani serait ministre de la marine. l’amour-propre du Corse fut rassuré, et l’ambassadeur de Russie prêta de bonne grâce au régime nouveau son habile appui. Trois mois plus tard, le général Sébastiani devint ministre des affaires étrangères ; mais la crise était passée et le gouvernement du roi Louis-Philippe établi : le comte Pozzo di Borgo se résigna alors à un déplaisir qui ne pouvait plus avoir pour le régime de 1830 aucun grave résultat.

Tant que dura ce régime, de 1830 à 1848, Mme de Boigne fut fidèle à ses liens d’amitié et à ses habitudes d’esprit politique. Elle assistait avec plus d’inquiétude que de goût au spectacle de nos luttes parlementaires, ne prenant fait et cause, ni tout haut, ni même dans son âme, pour aucun des partis et des acteurs, toujours favorable aux intérêts de l’ordre, du pouvoir, de la politique conservatrice, mais jugeant ses défenseurs aussi sévèrement que ses adversaires, et préoccupée surtout de la crainte que les uns ne réussissent pas et que la victoire des autres ne devînt une périlleuse nécessité à subir. Au fond, elle doutait du succès du gouvernement libre, tout en comprenant et en admettant qu’on ne pouvait s’en passer. Elle était confirmée dans ses dispositions personnelles par son ancienne et profonde intimité avec M. le chancelier Pasquier, le représentant le plus éclairé comme le plus éprouvé de la politique prudente, et spectateur, je dirais volontiers censeur éminemment judicieux des situations et des hommes engagés dans l’arène parlementaire, où, comme président de la chambre des pairs, il n’était plus intéressé ni compromis à titre d’acteur. Il soutenait aussi loyalement que sensément, et très honorablement pour lui-même, le gouvernement du roi Louis-Philippe, sans prédilection intérieure ni ferme confiance. Je ne lui étais pas non plus particulièrement agréable ; il m’était arrivé, sous la restauration et dans quelques-uns de mes écrits, de parler de M. Pasquier, de son rôle et de son influence dans la politique du temps, toujours avec