Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/762

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
758
revue des deux mondes.

nances morales et l’inclination mutuelle pour la première loi du mariage. Si c’était là en effet sa loi commune la société en général, comme la dignité et l’état intérieur des familles, s’en trouveraient infiniment mieux ; mais, par les idées et les pratiques du monde où elle avait vécu, Mlle d’Osmond n’avait pas été accoutumée à considérer le mariage sous cet aspect ; elle l’avait vu déterminé le plus souvent par des motifs et des arrangemens extérieurs et mondains. En épousant M. de Boigne, elle ne fît que suivre la routine de sa société et de son temps ; la plupart des parens auraient décidé pour elle comme elle décida elle-même. Qu’elle en décidât elle-même, et qu’elle le fît avec la franchise qu’elle y apporta, en ceci fut la nouveauté, une nouveauté honorable, quoiqu’un peu étrange. Elle y fut déterminée par un sentiment qui a dominé toute sa vie, le désir de retirer sa famille de la ruine où elle était tombée et de rendre aux d’Osmond de l’avenir la situation sociale que la révolution française avait enlevée à ceux du présent. Pour son propre compte, Mme d’Osmond, dans cette circonstance et par sa nature comme par sa libre volonté, fut très peu romanesque et trop peu difficile ; mais elle ne fut pas gouvernée par des motifs égoïstes et vulgaires : elle obéit à un instinct plus élevé, l’intérêt de sa race et de son nom.

Ce mariage eut les suites qu’il était aisé de prévoir ; le vieux général et la jeune émigrée tardèrent peu à s’apercevoir qu’ils ne se convenaient pas l’un à l’autre. Après six ans d’épreuve, ils le reconnurent mutuellement, et d’un commun accord ils séparèrent leurs vie. En 1804, M. de Boigne avait ramené sa femme en France, où leurs parens, le marquis et la marquise d’Osmond, rayés de la liste des émigrés, étaient venus les rejoindre ; il la quitta en lui assurant dignement une belle et indépendante situation, et pendant qu’elle restait à Paris il retourna à Chambéry, sa patrie, où il employa sa fortune et occupa sa solitude à fonder des établissemens d’utilité et de charité publiques, un collège de jésuites, des écoles de filles, un théâtre, des hospices de vieillards et d’aliénés. Quelque complète qu’elle fût, sa séparation d’avec sa femme ne fut pas une rupture ; elle allait le voir à peu près tous les ans en Savoie, dans son château de Buisson-Rond, à la porte de Chambéry, et elle passait avec lui quelques semaines, faisant les honneurs de sa maison, où M. de Boigne se plaisait à recevoir alors du monde et à attirer les visiteurs.

Pour une jeune femme libre, riche, jolie et spirituelle, Paris était à cette époque un séjour plein d’animation et d’attrait : tout y était jeune aussi, nouveau, brillant, les personnes, les actions, les fortunes, les destinées ; toutes les jouissances de la vie au sein de