Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/759

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA
COMTESSE DE BOIGNE

Il y a neuf ans, en parlant dans mes Mémoires[1] de quelques-uns des salons les plus distingués de Paris de 1814 à 1859 et des trois personnes, Mme de Rumford, Mme de Boigne et Mme Récamier, qui en étaient le centre et l’ornement, je disais de Mme de Boigne : « Avec moins d’appareil mondain que Mme de Rumford et par l’agrément de son esprit à la fois sensé et fin, réservé et libre, la comtesse de Boigne attirait un petit cercle d’habitués choisis et fidèles. Élevée au milieu de la meilleure compagnie de la France et de l’Europe, elle avait tenu pendant plusieurs années la maison de son père, le marquis d’Osmond, successivement ambassadeur à Turin et à Londres. Sans être le moins du monde ce qu’on appelle une femme politique, elle prenait aux conversations politiques un intérêt aussi intelligent que discret ; on venait causer de toutes choses avec elle et autour d’elle sans gêne et sans bruit. »

J’allais souvent alors chez Mme de Boigne ; il me revint que, tout en se montrant satisfaite de mon langage, elle disait : « J’ai été un peu plus mêlée à la politique de mon temps, et quelquefois avec un peu plus d’influence que ne le croit M. Guizot. » Mme de Boigne avait raison. Je n’étais jamais entré avec elle dans ces relations intimes qui amènent les confidences mutuelles, et mettent les personnes au courant les unes des autres ; je ne connaissais d’elle que les agrémens de son esprit et de sa société. La politique avait en effet tenu dans sa vie et pris dans son âme plus de place qu’elle n’en

  1. Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, t. ii, p. 242.