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excellente bride pour mener la populace ; » mais il ajoute que « ce masque est non-seulement indécent et laid pour la philosophie, mais contraire à ses principes qui nous promettent de nous enseigner avec la seule raison tout ce qui est bon et utile. » Voilà de fortes paroles exprimant une pensée hardie. Enseigner la vérité religieuse par la raison, tel a été le dessein de Descartes, de Kant et de toute une école moderne qui ne veut ni imposer à la pensée de funestes abdications, ni sacrifier les instincts religieux de l’homme. Après cela, que Plutarque ait défendu l’institution des oracles par de faibles argumens, peu importe. Il a cru que les dieux parlent aux hommes au moyen de démons qui sont « leurs truchemens ; » il a cru que la divination est une faculté de l’âme ; il a cru enfin que les gaz souterrains dégagés par le sol des sanctuaires sont à la faculté divinatrice ce que la lumière est à l’œil. La science d’aujourd’hui sourit avec raison de ces interprétations singulières ; mais ces interprétations voulaient être rationnelles : là est le point essentiel, là est le progrès, et l’histoire doit le constater.

Cette religion était si bien une philosophie, qu’au-dessus des dieux du polythéisme, maintenus, mais relégués au second rang, Plutarque proclamait au nom de la seule raison un Dieu unique. C’est dans le traité sur les délais de la justice divine, en démontrant l’existence de Dieu, qu’il prend son plus grand essor. Tout l’ouvrage est écrit d’une main puissante, et le chapitre où est développée la preuve d’une justice divine par le remords n’est rien moins qu’un chef-d’œuvre. Il est à propos en ce moment de mettre en lumière cette argumentation fondée sur des faits éclatans que constatent la psychologie morale et la science aliéniste. L’observation établit que le remords se produit et déroule ses conséquences sous l’empire d’une loi fatale, implacable, et qu’on croirait intelligente. Elle ajoute que toute volonté humaine est inférieure à cette loi et impuissante à l’éluder. Il y a là une chaîne dont chacun est libre de ne pas forger le premier anneau ; mais, celui-là formelles autres en sortent, quoi qu’on fasse. On a beau nier cette loi, il faut la subir, et lorsqu’elle est habilement décrite dans les œuvres littéraires, le lecteur se sent en présence d’une vérité certaine et terrible. Sous une forme plus austère sans doute que celle de nos romanciers inspirés par ce sujet, mais attachante encore, Plutarque avait tracé déjà la marche ascendante et ininterrompue du châtiment, — manifestée par les troubles moraux, intellectuels et même physiologiques qui bouleversent l’âme et le corps des grands coupables. Une exaltation fiévreuse, avait-il dit, décuple d’abord les forces du méchant jusqu’au moment où le crime est consommé ; alors l’âme se détend et s’abat « comme un vent qui tombe, » et