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sont le plus glorieux linceul. » De tous ces conseils, il n’en est pas un seul que le moraliste de Chéronée n’ait lui-même religieusement suivi dans sa mission à Rome comme dans ses charges successives et fort diverses d’agent voyer et de maire de sa petite ville.

Ainsi étudié dans son attitude de citoyen et dans son enseignement politique, Plutarque n’apparaît-il pas comme une personnalité originale et comme un esprit pratique d’une rare sagacité ? Il n’a pas réussi, dira-t-on. D’accord ; mais cela prouve uniquement que les Gréco-romains n’étaient pas dignes d’un tel maître. D’ailleurs qui sait s’il n’a converti personne ? Mais n’eût-il fait de son temps aucune heureuse cure, la gloire lui resterait d’avoir compris que la vie municipale, ce contre-poids de la centralisation, est le seul moyen d’empêcher dans un vaste empire la prompte paralysie des extrémités. De nos jours, la question est vivement débattue, et ceux qui la traitent ignorent peut-être que, dès la fin du premier siècle, il y avait un philosophe décentralisateur, avant la lettre il est vrai, mais plein cependant de clairvoyance et d’autorité. Sur l’application plus ou moins étendue du principe, on dispute encore ; grâce à Dieu, le principe n’est plus contesté. Pour ceux qui ont à recommencer la vie politique comme pour ceux qui vont la commencer, l’exercice des fonctions municipales est le point de départ. Les premiers y trouvent l’eau de Jouvence ; les seconds y sucent le lait de la liberté. Quittons maintenant le municipe avec Plutarque lui-même et suivons le médecin de l’âme jusqu’à Delphes, où il consacra les dernières années de sa vie à la guérison du sentiment religieux, alors aussi gravement malade.


IV.

La route qui mène de Chéronée à Delphes, avant de s’enfoncer dans les défilés sauvages de Daulis, longe au midi le lac Copaïs, et rencontre bientôt le ruisseau qui dans l’antiquité se nommait le Céphise. Sur les bords de ce modeste cours d’eau, comme sur les rives plates du lac, s’épanouissent des narcisses et des roses d’une beauté singulière. Autrefois ces fleurs superbes, mêlées de lis éclatans et d’iris bleus à l’odeur pénétrante, naissaient en abondance au printemps sur cette terre limoneuse et féconde. Les Chéronéens en écrasaient les pétales, d’où ils savaient tirer une essence précieuse, laquelle, disaient-ils, guérissait toutes les maladies corporelles et conservait le bois dont étaient faites les images des dieux. Pareille, dans l’ordre moral, à ce baume admirable, la médecine de l’âme devait, selon Plutarque, non-seulement ranimer les senti-