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ques-uns de ses traités que Plutarque à ses débuts céda, lui aussi, au torrent et ne dédaigna pas les triomphes de la sophistiqué ; mais ce ne fut qu’une erreur passagère. Sous le nom de sophistes, qu’ils gardaient par prudence, quelques fermes esprits continuaient à enseigner les vérités de la morale. Plutarque les imita ; il ouvrit un cours public de morale pratique, et s’appliqua à réaliser ce type du médecin de l’âme dont il a lui-même tracé plus tard la parfaite image.

On a dit non sans raison que les maux extrêmes apportent avec eux leur remède. L’homme tient à sa vie physique et morale par de si profondes attaches que, dès qu’il sent les menaces de la mort, il invente des armes pour la repousser. Sous les premiers successeurs d’Auguste, à la dissolution croissante des mœurs quelques sages avaient opposé l’art, alors nouveau, du médecin de l’âme. Le succès couronna leur entreprise. Chaque grande maison eut son philosophe attitré, toujours présent, toujours attentif à relever les, caractères et à soutenir les courages chancelans. Sénèque, — nos lecteurs le savent[1], — avait poussé fort loin cette science délicate des souffrances intimes des secrètes langueurs et du traitement qu’elles réclament. On ne trouverait rien dans nos institutions universitaires ou religieuses qui réponde exactement à ce ministère de l’antique sagesse. Le professeur, le prédicateur, le confesseur et le médecin y sont réunis en un seul et même personnage. Le professeur enseignait la vérité morale et développait la théorie des devoirs ; mais il donnait à cette exposition le ton, l’accent, la pressante insistance du prédicateur. Aussi était-il à la fois plus respecté et plus persuasif, plus influent et plus paternellement affectueux que le professeur d’aujourd’hui. Ses leçons avaient un caractère presque sacré. « On s’y préparait, dit M. Gréard, comme aux initiations ; on s’y présentait comme à une cérémonie sainte. » Et cependant il y régnait une certaine liberté, mêlée, il est vrai, de déférence et toujours contenue dans de justes limites. Ainsi les auditeurs pouvaient parfois indiquer au maître le sujet à traiter ; ils étaient même autorisés, à l’interrompre et à lui poser des objections quand la question était obscure et controversable. La séance terminée, les disciples intimes ; les auditeurs préférés restaient avec le moraliste et lui ouvraient leur âme. Alors commençait la tâche du confesseur. C’était l’heure des confidences, le moment des complets et sincères aveux. À ce père spirituel, car c’en était un, on ne devait rien céler. Terreurs superstitieuses et folles, dispositions à la

  1. Voyez dans la Revue des 1er mars, 15 septembre 1863 et 15 avril 1864, les études de M. Martha sur Lucrèce, Perse et Marc-Aurèle.