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parfois, comme à un supérieur, la solution des difficultés qu’il n’osait dénouer lui-même. Plutarque eut donc ce premier bonheur de rencontrer dans son père l’instituteur qu’il fallait à son talent ; mais, on le voit, même avant de quitter l’école paternelle, il manifestait déjà cette force native qui ne s’appuie sur les maîtres que pour les surpasser.

Aux approches de sa vingtième, année, on renvoya terminer ses études à Athènes. L’antique cité de Périclès, de Platon et de Démosthènes n’était plus que l’ombre d’elle-même. Au lieu des patriotiques harangues du Pnyx et des belles conversations philosophiques, on n’y entendait guère alors que les phrases creuses d’une sophistique tombée au dernier degré de la platitude. Plutarque sut néanmoins y découvrir un professeur digne de lui. Ammonius lui donna de solides leçons, l’envoya ou le conduisit à Alexandrie, et acheva de former en lui l’érudit et le moraliste. C’est à Rome toutefois qu’il prit définitivement possession de lui-même.

Il est allé deux fois à Rome. On conjecture qu’il y arriva d’abord à l’âge de vingt ans, au début du règne de Vespasien. Il s’en éloigna quelque temps, y revint, et rentra pour toujours en Grèce à l’époque où Domitien finissait de régner. Non seulement son caractère honnête et sain le préserva de la contagion des mœurs romaines, mais il semble que ce milieu corrompu n’ait eu d’autre effet sur lui que de l’avertir de son génie et de lui montrer le vrai but de sa vie. Envoyé par ses compatriotes pour défendre leurs intérêts municipaux, ses fonctions de chargé d’affaires lui laissaient de dangereux loisirs. Libre d’ailleurs et assez riche#, —je plaisir lui était facile. Au lieu de s’y livrer, il s’attacha à grossir son trésor de connaissances. Le goût public et la littérature de ce temps l’exposaient à un danger d’une autre sorte. À juger d’après certaines apparences, on croirait qu’il y eut sous les Flaviens comme une renaissance littéraire. Ces empereurs affectaient des, dehors libéraux, fondaient des bibliothèques, payaient des professeurs, excitaient l’émulation des écrivains par des concours de poésie où les Grecs étaient appelés à se mesurer avec les Romains. Ce mouvement des esprits demeura factice et stérile. Les libertés publiques étaient mortes, les philosophes avaient été chassés de Rome, l’éloquence et la poésie, n’ayant plus où s’alimenter de généreuses inspirations et de fortes idées, parlaient à vide. Cependant telles étaient l’ignorance et l’ineptie du public lettré que ces vers sans flamme et ces discours sans– pensées enlevaient d’unanimes applaudissemens. C’est alors que la profession d’homme de lettres commença de devenir un métier lucratif et de s’avilir en visant exclusivement à la richesse et aux succès faciles. Il est permis de croire d’après quel-