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posé de bonne heure le problème de la vie, et l’avaient résolu, non pas en métaphysiciens, mais en hommes d’action capables de tous les efforts. Chose remarquable, malgré des différences essentielles, c’est le même esprit qui anime les prescriptions d’Hésiode et celles de Plutarque. C’est par la morale pratique qu’a commencé et fini la littérature de ce petit pays.

Tout à l’ouest de cette province demeurée relativement fidèle à l’antique sagesse, près des gorges rocailleuses qui conduisent à Delphes, entre deux modestes rivières, le Morios et le Céphise, s’élève le petit mont Pétrachos. Là, cachée et comme tapie dans un repli de terrain, Chéronée avait vu de terribles événemens ébranler la Grèce et n’en avait que peu souffert. Ses voisines, Platée, Thèbes, Orchomène, Élatée, avaient été saccagées ou détruites. Quant à elle courbée un instant par l’usage, humiliée par les Romains, qui, la veille d’Actium, avaient contraint ses citoyens à faire sous le fouet l’office de bêtes de somme, elle s’était pourtant maintenue dans son intégrité. Ce tranquille recoin du monde grec, à peu près épargné par les désastres politiques, ne s’était pas complètement préservé de la corruption du temps. Quelques familles cependant v conservaient encore, avec le culte des souvenirs, une physionomie patriarcale. Telle était celle de Plutarque. Les passages où il parle de lui-même et des siens permettent, à défaut d’autres renseignemens, de reconstituer le groupe domestique au milieu duquel il naquit vers l’an 48 ou 49 après Jésus-Christ. C’était une tribu de sages. On s’y transmettait de père en fils l’amour de la philosophie et le goût des discussions morales. Plutarque avait entendu, et nous fait connaître son aïeul Lamprias. Cet aimable vieillard, dont l’esprit, la mémoire et la langue se trouvaient toujours bien de quelques libations, posait nettement les questions et les résolvait avec l’autorité de l’âge et de l’expérience. Le père de Plutarque, moins disert et plus réfléchi, se complaisait à exciter l’intelligence de la jeunesse. Assis auprès de l’âtre où flambait le pin odorant, parens et enfans aimaient à prolonger les veillées d’hiver ; Plutarque et ses deux frères, Timon et Lamprias, prenaient part ensemble à ces paisibles conférences du foyer paternel. Timon s’y montrait réservé ; mais judicieux. Lamprias, le plus jeune, y apportait une humeur enjouée, une vivacité un peu étourdie, une verve spirituelle et parfois caustique. Quant à Plutarque, il y jouait le rôle principal. Déjà instruit, il excellait à tirer des faits historiques d’utiles conséquences morales. Ses discours d’adolescent révélaient avec évidence sa vocation de moraliste, ses frères la proclamaient en le nommant le philosophe, et son père souscrivait à cette appellation en demandant à son fils aîné comme à un égal,