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s’était placé dans la situation de la plupart des chefs de parti, qui dépendent de leurs auxiliaires beaucoup plus que ceux-ci ne dépendent d’eux. A mesure que la Bretagne échappait à Mercœur, le cabinet de l’Escurial lui devenait un support plus nécessaire. Malgré les mauvais procédés qui firent souvent échouer ses combinaisons les mieux concertées, le prince dut resserrer, à partir de 1595, les liens qui le rattachaient à Philippe II, car l’absolution de Henri IV avait enlevé au chef de la ligue la dernière arme dont il pût user. L’épiscopat de la province lui avait déjà échappé, et chaque jour quelque nouveau capitaine ceignait l’écharpe blanche. Tout en ouvrant une négociation avec Henri IV sous la pression de l’opinion publique, Mercœur s’était formellement engagé à ne rien conclure sans l’approbation du roi d’Espagne, qui avait promis, de son côté, de ne pas déposer les armes sans assurer au gouverneur de la Bretagne une position agréée par celui-ci. Mercœur, qui n’avait pas affiché ses prétentions dans la pleine prospérité de ses affaires, se décida-t-il, au déclin de sa fortune à les confier à Philippe II, et celui-ci, ouvrant enfin les yeux sur l’impossibilité de faire admettre par la France la souveraineté de l’infante, se résigna-t-il à entrer dans les vues secrètes du chef de la maison de Penthièvre pour l’établissement d’un gouvernement indépendant en Bretagne ? C’est ce qu’il est impossible de savoir malgré les détails minutieux que nous a laissés sur la longue négociation d’Ancenis Duplessis-Mornay, qui y joua pour Henri IV un rôle considérable. Mercœur ne se montra pas d’ailleurs plus décidé pour faire la paix qu’il ne l’avait été pour faire la guerre, et les ajournemens multipliés où l’on a cherché la preuve de son habileté diplomatique ne furent que le double résultat d’une situation sans liberté et d’un esprit sans résolution.

L’un des torts les plus sérieux qu’il y ait peut-être à imputer à Henri IV, c’est de n’avoir pas terminé plus tôt la rébellion de la Bretagne. Si le roi, au lieu de se montrer exclusivement préoccupé de vaincre l’Espagnol en Picardie, l’avait attaqué au sein de la province où il s’était cantonné, ainsi que l’en suppliaient les états de Rennes, il aurait rencontré dans l’opinion de ce pays un concours dont le passé lui faisait probablement douter, mais qu’expliquaient fort bien des circonstances toutes différentes. Quelques régimens conduits par le prince héroïque auquel la surprise d’Amiens n’avait encore rien enlevé de son prestige auraient certainement suffi en 1595 pour avoir raison du duc de Mercœur, qui n’était désormais, même pour les plus aveugles, qu’un lieutenant du roi d’Espagne. Nantes, admirablement fortifiée et dominée par l’ascendant personnel de la Nantaise, constituait alors la principale, pour ne pas dire