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propriétaire à rançon, envahir une belle demeure pour la piller, c’étaient là des procédés réputés compatibles avec l’honneur militaire, et qui dans l’un ou l’autre parti ne provoquaient aucun étonnement. Il fallait des faits d’une énormité exceptionnelle, des sacrilèges, des viols, des égorgemens de femmes et d’enfans, faits que les deux parlemens de Rennes et de Nantes se permettaient quelquefois de signaler pour provoquer de timides observations, soit de la part du prince de Dombes, soit de la part du duc de Mercœur, contraint, comme tous les chefs de faction, de se montrer peu difficile.

Le pillage, autorisé pour tous les belligérans, ne tarda pas à devenir, pour quelques hommes de bonne maison unissant des instincts cruels à la brutalité générale des mœurs du temps, un moyen de s’enrichir aux dépens de l’ennemi en même temps que de se faire compter parmi les siens. De là la profession de gentilhomme voleur et l’étrange situation de quelques misérables ménagés par le duc de Mercœur. Ni les condottieri de l’Italie, ni les reîtres de l’Allemagne n’approchent des hideux personnages dont l’historien de la ligue en Bretagne est contraint d’évoquer la mémoire et de rappeler les crimes, afin de faire comprendre toute l’étendue des misères publiques. A l’extrémité sud de la péninsule, on voit le jeune seigneur de Kerhanland, de la maison du Bouëttier, qui, retranché avec une bande de brigandeaux comme lui dans le château fortifié de Guengat, viole, pille et massacre sous le drapeau de la ligue, tant qu’enfin M. de Mercœur est obligé de l’assiéger avec du canon durant trois semaines et de lui faire trancher la tête. Un peu plus loin, c’est Anne de Sanzay, comte de La Magnane, qui, disposant d’une force de six cents chevaux, prend des villes et les met à rançon, traite avec les autorités de la Cornouaille afin d’obtenir à l’amiable passage pour sa troupe, et qui, une fois protégé par le cours d’une rivière difficile à franchir, met le pays à feu et à sang à dix lieues à la ronde. La Magnane ne laisse pas une maison de quelque apparence sans la dévaliser ; il oblige les paysans dépouillés par ses bandits à se cacher comme des bêtes fauves au fond des bois ; il les met hors d’état de relever de longtemps les cornes, et considère, dit Montmartin, comme un petit Pérou les cantons maritimes du sud, épargnés jusqu’alors par la guerre, dont ils vont éprouver les dernières horreurs. Après avoir saigné à blanc ces populations infortunées, le comte se retire à son heure et tout à son aise ; il va en pleine assurance rejoindre le duc de Mercœur, et celui-ci ne paraît pas même remarquer l’énorme butin que La Magnane traîne à sa suite, car ce chef arrive la veille d’un combat à la tête d’une force bien dressée et complètement à lui.

Dans cette sombre galerie, une figure se dessine entre toutes les