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pouvant parvenir, se rejeta de désespoir dans les flammes afin d’y périr avec son épouse bien-aimée. Cette troupe infortunée mourut ainsi au nombre de quatre-vingt-dix personnes en y comprenant la famille de la malheureuse dame, des propos de laquelle ces barbares s’étaient si cruellement vengés[1].

Le sac de Roscannou que je rappelle entre cent autres désastres de même nature caractérise cette guerre d’extermination durant laquelle la race armoricaine, dont le cerveau fléchit vite sous les fortes émotions, vécut dans une sorte d’enivrement fébrile. Ces désastres s’étendirent à toute la Basse-Bretagne au point d’en diminuer la population des deux tiers, et dans quelques paroisses de l’anéantir absolument. Ce fut surtout durant la dernière phase des troubles, de 1594 à 1598, lorsque la France tout entière obéissait à Henri IV, que des attentats peut-être sans exemple dans l’histoire furent commis dans ce malheureux pays, le gouvernement de Mercœur et le gouvernement royal se trouvant l’un et l’autre dans l’impuissance de les empêcher et de les punir.

Ces crimes furent en partie la conséquence du droit public qui régnait en Europe à cette époque. Au moyen âge, la guerre n’était pas seulement l’application de la souveraineté des états exerçant l’un contre l’autre le droit de légitime défense, ce fut aussi une sorte de spéculation privée où les risques étaient compensés par les profits. Le principe qui attribuait au vainqueur un droit sur la vie et les propriétés personnelles du vaincu avait pour corollaire la mise à rançon des prisonniers. Cet usage avait entretenu jusque chez les plus nobles chevaliers une pensée que nous comprenons à peine aujourd’hui, celle de faire servir leur courage à leur fortune. Si cela se voyait tous les jours dans les armées les mieux réglées, quel développement ne dut pas prendre une avidité autorisée par les lois de la guerre dans une lutte comme celle où se trouvait alors engagée la Bretagne ! Cette guerre se faisait de ville à ville, de château à château ; elle consistait dans une suite d’entreprises particulières beaucoup plus que dans l’accomplissement d’un plan concerté. Dès lors l’autorité de chaque capitaine y était d’autant plus grande que celle du général était moindre. Cet état de choses, aggravé par la configuration d’un pays inaccessible dans la plupart des localités aux troupes régulières, amena ces sièges nombreux de petits châteaux fortifiés, comme l’étaient alors ceux de toutes les maisons nobles, ces guet-apens perfides et ces coups de main tramés dans un intérêt de cupidité ou de vengeance. Personne n’avait la pensée qu’il fût interdit de faire ses propres affaires en faisant celles de son parti. Attaquer un château pour mettre le

  1. Moreau, ch. X, p. 99.