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Restreignant aux diocèses de la Basse-Bretagne, où la guerre des paysans prit son plus sombre caractère.

Il était au pays de Léon un beau château dont les tours croulantes sont aujourd’hui curieusement visitées par l’étranger. C’était Kerouséré, vaste demeure de Pierre de Boiseon, seigneur de Coëtnisan, l’un des rares gentilshommes qui à la mort de Henri III demeurèrent dans l’obéissance de son successeur. Ce château servant de point d’appui pour toutes les entreprises de la garnison royaliste de Brest, commandée par le marquis de Sourdéac, la noblesse du voisinage résolut de l’attaquer, entendant d’ailleurs respecter les lois de la guerre et de la chevalerie envers le sire de Coëtnisan et tous les membres de sa famille. Le canon ne tarda pas à faire brèche. La capitulation était inévitable, et les choses se seraient bien passées, si les rustiques n’étaient accourus au nombre de plusieurs milliers, et ne s’étaient bientôt trouvés en mesure, sans beaucoup nuire aux assiégés, de faire la loi aux assiégeans. Cela ne manqua point d’arriver. « Ceux du château ne voulurent expérimenter le hasard d’un assaut, et demandèrent à capituler au chef du camp. Les communes ne voulaient y condescendre, mais menaçaient de tout tuer, même la noblesse de leur parti, s’ils faisaient aucune composition, et voulaient que l’on eût tout exterminé. La noblesse le craignait, quoiqu’elle eût grand désir de faire bonne guerre à l’ennemi. Enfin la capitulation fut que les assiégés rendraient la place avec les munitions et vivres y étant et les soldats vie sauve. Cela fait, ils commencent à sortir sous la faveur de la noblesse, qui voulait de point en point garder les conventions ; mais la populace, irritée contre eux de leur parti qui les avaient faites, fit tous ses efforts pour leur ôter les assiégés et les massacrer. On eut bien de la peine, et non sans un extrême danger de vie de la noblesse catholique, à sauver Coëtnisan et Goësbriant. Quant aux autres, cette paysantaille se jette dessus de grande impétuosité et les massacre ; chacun baillait force coups et apportait une pièce qu’il mettait au bout d’une lance, et furent par le camp en faire montre[1]. » Les principaux chefs catholiques reçurent, qui un coup de hache à la tête, qui un coup de fourche dans la gorge, et les autres, d’après le chroniqueur, « ne coururent pas moindre fortune tant cette cruelle bête de paysan était enragée. »

Le sort de cette place fut celui du plus grand nombre des lieux fortifiés de la Basse-Bretagne durant cette période de désolation qui n’a pas laissé une page dans l’histoire, tant les douleurs obscures sont vite oubliées. Il se retrouve toutefois, ce souvenir, attaché aux murailles encore noircies par le feu ; il se dresse tout vivant devant

  1. Moreau, ch. VII, p. 81.