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lendemain. Sur un avis qui leur fut adressé dans la nuit et qui était de nature à les inquiéter pour leur sûreté, ils s’esquivèrent très secrètement en s’embarquant sur la Rance à deux heures du matin. Bientôt toute la bourgeoisie fut aux pièces, mèche allumée, et le duc de Mercœur, ne se sentant pas en mesure d’entrer de vive force dans Saint-Malo, se garda bien de pousser à bout des auxiliaires aussi disposés à se transformer en ennemis. Brouillés avec le gouverneur de la province et sachant bien que plus un chef est éloigné, moins il est à craindre, les Malouins envoyèrent à Paris des délégués pour expliquer leur conduite au duc de Mayenne et au conseil supérieur de la ligue. Mayenne, qui n’était aucunement disposé à seconder l’ambition de son cousin, se montra flatté de cet hommage rendu par une cité puissante au lieutenant-général du royaume, et les Malouins, s’étant de la sorte mis en règle avec leur parti religieux, continuèrent à faire leurs propres affaires sous le drapeau de l’union.

Ainsi s’écoula pour Saint-Malo, croissant toujours en importance et en richesse, la première période de la guerre civile, sous des institutions que les contemporains n’hésitent pas à nommer républicaines. Aussitôt après l’abjuration de Henri IV, les habitans ouvrirent une négociation directe avec le prince, qu’ils savaient trop faible encore pour marchander les concessions. Charmé de prendre possession d’une place aussi importante, le roi accorda à Saint-Malo un édit rédigé en termes tellement admiratifs qu’on le dirait destiné à célébrer l’héroïque fidélité d’une ville ruinée de fond en comble pour avoir soutenu la cause royale. Le roi va sur tous les points fort au-delà de ce qui lui est demandé. Il consacre et promet de maintenir à jamais tous les droits, libertés et privilèges de la ville, de quelque nature qu’ils puissent être, et, « d’autant qu’il ne peut commettre la garde de ladite ville entre les mains d’autres qui lui en puissent répondre plus fidèlement que ceux qui parmi tant de troubles et de désordres la lui ont si bien préservée, il ne veut pour garnison et sûreté que la bonne volonté des habitans. Sa majesté s’engage d’ailleurs expressément à ne pourvoir du gouvernement d’icelle ville qu’une personne agréable aux habitans ; enfin, en considération des pertes que ceux-ci ont subies pour son service, elle les exempte pendant six ans consécutifs de toutes tailles, impôts, emprunts, sans qu’ils puissent être taxés ni cotisés durant ce temps en quelque manière que ce soit[1]. » Si accoutumés que fussent les Malouins aux bonnes affaires, ils crurent n’en avoir jamais fait une pareille. Il n’y avait que Henri IV pour procurer de telles aubaines à ses ennemis.

  1. Édit de Henri IV pour la réduction de Saint-Malo, 4 octobre 1594.