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duquel il continuait à déférer[1]. L’attitude réservée de Mercœur vis-à-vis du duc de Guise et de la ligue aurait-elle contrarié sa pensée secrète, qu’elle lui eût été imposée par le sentiment général de la province. Depuis le commencement des guerres de religion et des intrigues princières développées à leur ombre, la Bretagne s’était trop bien trouvée de sa circonspection pour y renoncer au profit d’une ambition particulière. Si elle changea soudainement d’attitude, ce fut sous l’empire d’un intérêt moins égoïste et sous le coup d’une sorte de nécessité.

Le nouveau gouverneur arrivait-il dans cette province avec la résolution déjà arrêtée de profiter des chances de la guerre civile pour faire valoir ses prétentions à la couronne ducale, dès que la mort de Henri III lui en fournirait l’occasion ? La plupart des historiens contemporains l’affirment. De Thou le pense comme d’Aubigné, Davila semble le croire comme Mathieu. Cette opinion a été adoptée par les auteurs de l’histoire bénédictine, ardemment dévoués à l’autorité royale et très opposés à la ligue ; elle est donc consacrée par une tradition à peu près générale. Les écrivains modernes sont allés plus loin, car ils ont prétendu faire entrer toute la population bretonne dans le complot tramé par le duc de Mercœur, et pour eux la guerre acharnée qui commença en Bretagne en 1589 pour ne finir qu’en 1598 s’est résumée dans une tentative avortée de séparation[2].

Si autorisée que soit cette opinion, on est pourtant conduit à reconnaître, lorsqu’on serre les faits de plus près, qu’elle ne repose sur aucune base solide, et qu’en résistant à Henri IV personne en Bretagne ne songeait à déchirer le contrat de mariage de la duchesse Anne. Le duc et plus encore la duchesse de Mercœur auraient été fort heureux sans nul doute de voir s’accomplir le beau rêve d’une restauration ducale, lorsqu’il leur naquit un fils qui reçut le nom de Bretagne, ils aimaient peut-être à penser que ce nom cesserait un jour d’être un vain titre[3] ; mais rien ne constate même chez eux la ferme volonté de donner à ce rêve le caractère d’un projet sérieux, et quand on étudie dans ses manifestations les plus

  1. Registres manuscrits des états de Vannes de 1582, des états de Nantes de 1585. — Actes de Bretagne, t. III, col. 1467 et suiv. — Histoire de dom Taillandier, liv. XIX.
  2. Voyez surtout la Ligue en Bretagne, par M. L. Grégoire, professeur d’histoire au lycée de Nantes, 1 vol, in-8o, 1856 ; Paris, Dumoulin.
  3. Les historiens modernes ont tous attaché une importance qu’elle n’eut jamais à cette qualification attribuée à l’enfant dont la duchesse de Mercœur accoucha en 1589. Malgré l’édit de François Ier qui avait, après la réunion, interdit de prendre à l’avenir le nom et les armes de Bretagne, ce nom continua d’être porté par tous les membres de la maison de Brosse-Penthièvre, et le duc d’Étampes lui-même, gouverneur de la province pour le roi, le prenait dans tous les actes officiels. Voyez Actes de Bretagne, t. III, col. 1205 et suiv.