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n’était-il pas trop tard ? Comme elle s’adressait cette question, ses yeux s’arrêtèrent sur une bague que depuis quelques jours elle portait, une bague d’excellent goût, simple anneau d’or décoré de trois turquoises et sur lequel était gravé le mot grec AEI. C’était un cadeau de Ramsay Caird. En le lui offrant, pour l’anniversaire de sa naissance, il avait ajouté quelques paroles qui ressemblaient fort à un compliment, et qu’il avait prononcées avec un accent particulier, tout nouveau pour elle comme pour lui. Dans le moment même ces paroles avaient semblé fort insignifiantes à celle qui les écoutait. — J’aurais voulu, lui disait-il, j’aurais voulu pouvoir vous faire accepter cet anneau sans aucun ornement quelconque. — Maintenant, et à la clarté de ses pensées nouvelles, Madeleine comprit qu’il y avait là, dans cette simple phrase, une sorte de décret providentiel.

Ztait-il donc écrit qu’elle serait la femme de Ramsay Caird ? Cette idée ne lui était point absolument étrangère. Souvent elle avait songé, sans enthousiasme, mais sans répugnance, qu’il en pourrait être ainsi. Elle avait même pu se méprendre parfois à l’espèce de goût qu’elle se sentait pour ce jeune homme toujours empressé, toujours de bonne humeur et qui savait si bien la défendre, elle si timide, quand on la prenait à partie, au besoin même contre Ronald en personne. Désormais, il est vrai, cette erreur ne pouvait plus exister ; mais d’un autre côté toute espérance n’était-elle pas perdue ? Wilmot n’avait-il pas quitté Londres, Londres où il venait de la revoir, sans même lui faire passer un mot d’adieu ? N’était-il pas entraîné loin d’elle par des vues, des projets, des ambitions qui la lui rendaient complètement indifférente ? D’ailleurs, en supposant qu’il revînt, en supposant qu’il la devinât, en supposant une foule de circonstances hautement contraires à toute vraisemblance, Ronald, l’austère, l’implacable Ronald, le véritable chef de la famille, n’avait-il pas voué au docteur une espèce de haine irréconciliable ? D’où venait cette haine sans motifs apparens ? Sans doute de ce qu’il avait vu clair, plus tôt que Madeleine elle-même, dans le cœur de Madeleine. Cela étant, et cela devait être, pourquoi s’était-il alarmé, offensé des sentimens encore cachés que Wilmot inspirait à sa sœur ? Sans doute parce qu’il croyait leur mariage impossible. Pourquoi le jugeait-il impossible ? Parce qu’il tenait énergiquement à ce que Madeleine épousât Ramsay Caird. — S’il le voulait, comment s’y refuser, comment et dans quel intérêt avouable engager une lutte sans issue, non-seulement avec lui, mais avec cette famille où sa ferme autorité prédominait à la longue inévitablement ?

Nous n’avons pas besoin de dire que, — malgré l’action constante de lady Muriel, et bien qu’elle eût une assez puissante influence