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savais tout cela, je savais aussi que l’on peut se méprendre sur l’intérêt immense qu’inspire au médecin telle ou telle cure spéciale ; enfin je vous savais marié. Tout cela se combinant dans ma pensée, j’en vins à me persuader, — mettant les choses au pis, — que miss Kilsyth avait pu produire sur vous, malgré vous, une de ces impressions vives, mais passagères, que l’absence doit effacer et détruire en peu de temps… Je voudrais que cette pensée me fût encore permise, reprit Ronald après un temps d’arrêt pendant lequel avec une profonde sympathie il avait examiné l’attitude et la physionomie de l’homme que ses paroles torturaient ; mais j’ai dû la perdre hier en me retrouvant auprès de ma sœur. Un coup d’œil jeté sur vous m’a prouvé qu’on m’avait dit vrai, mais que je m’étais bercé d’une trompeuse espérance.

Ici Ronald passa la main sur son front. Il était évidemment embarrassé de ce qui lui restait à dire. — De ce que je vais si droit au fait, n’allez pas conclure, docteur Wilmot, que je méconnais certains sentimens et que je leur refuse toute sympathie… Cependant j’ai à vous apprendre,… il le faut bien, c’est mon devoir,… que vous avez commis là une erreur grave. Dans l’intérêt de tous, dans le nôtre, dans celui de Madeleine et même dans le vôtre, la pensée que vous avez eue ne peut se réaliser.

Chudleigh Wilmot, changeant pour la première fois d’attitude, mais sans lever les yeux et les abritant de sa main gauche, réussit enfin à rassembler quelques paroles, qu’il articulait avec effort et d’une voix troublée. — Vous n’ignorez pas, disait-il, le changement survenu dans ma vie… Je suis… je suis libre maintenant… L’avenir peut-être…

— Ceci n’est pas une espérance à conserver, interrompit Ronald sans la moindre rudesse, mais avec une inflexible gravité. Vos sentimens m’auraient moins touché, s’ils se fussent exhalés en plaintes ou en reproches… Tel que je vous vois, vous m’inspirez une pitié profonde… Vous êtes libre, dites-vous, et bien évidemment vous ne voyez pas ce qui empêcherait, dans un avenir plus ou moins éloigné, que ma sœur devînt votre femme. Vous pensez que vous avez des droits à sa reconnaissance, et qu’elle ne refuserait peut-être pas d’acquitter sa dette en se donnant à vous… Croyez-moi, docteur, c’est une visée chimérique. Sans y opposer les froids calculs de l’homme du monde, car je ne tiens pas à me poser comme tel, je vous dirai simplement ceci : votre séjour à Kilsyth, prolongé au-delà de toute prévision possible, au détriment de vos plus chers intérêts, votre dévouement pour ma sœur, si extraordinaire, si difficile à expliquer, ont déjà prêté matière à des propos de salon, à des commentaires envenimés par la malice des oisifs parmi lesquels nous vivons… C’est assez vous dire ce qui arriverait, si vos