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Mais Madeleine ? — ce jeune astre pur et brillant, aux clartés duquel il avait pour la première fois envisagé sous leur véritable aspect les arides déserts où le travail et l’ambition l’avaient séquestré pendant la première moitié de sa vie, — Madeleine, qu’allait-elle devenir ? Avec ce dédain naturel des hommes supérieurs pour tous leurs émules, Chudleigh Wilmot ne voyait parmi l’élite de ses confrères que trois ou quatre talens capables de se mesurer avec le mal dont la jeune fille qu’il aimait lui avait paru menacée. Pas un seul de ces éminens praticiens ne disposait en revanche des loisirs nécessaires pour lui prodiguer les soins assidus sans lesquels il fallait renoncer à la guérir. Donc, en s’éloignant, il la condamnait à mort, et quand cette conviction s’emparait de lui, tous ses raisonnemens, toutes ses réflexions, tous ses projets, étaient ébranlés. Renoncer à elle était un immense sacrifice, consenti à regret après des déchiremens inouïs. La laisser aux prises avec un péril imminent, vouée à un trépas à peu près certain, ceci était au-dessus de son courage. Au plus fort de ses perplexités, une idée s’offrit à lui comme s’offre au naufragé l’épave flottante qui peut le maintenir un instant de plus à portée d’un secours providentiel. C’était de mander auprès de Madeleine le seul médecin qui eût à la fois les lumières et le temps requis pour une cure aussi difficile.

Avant même d’avoir réfléchi à deux fois sur le mérite de cette soudaine inspiration, Wilmot était déjà devant son bureau, la plume à la main, cherchant les premières phrases de la lettre qu’il allait écrire à sir Saville Rowe. Au fait et au prendre, la tâche n’était pas si simple qu’il l’avait crue au premier abord. Ne fallait-il pas expliquer à sir Saville la résolution inattendue qu’il venait de prendre ? Comment prétexter des motifs de santé sans entrer dans des détails embarrassans vis-à-vis d’un vieux routier, parfaitement expert en ces matières ? Puis, lorsqu’il allait évoquer le fantôme des tortures morales qui devaient expliquer l’affaiblissement momentané de ses organes, le souvenir de la dernière conversation qu’il avait eue avec sir Saville l’arrêta court sur cette pente périlleuse. Il se rappela le rire presque ironique par lequel il avait répondu à cette naïve question de son vieux collègue : — Aimez-vous réellement votre femme ? — Il se rappela comment il lui avait fait comprendre par quelques réponses d’une concision catégorique le rôle secondaire assigné à Mabel dans les préoccupations de son mari. Bref, les souvenirs de cet entretien dans les allées du jardin suspendu au-dessus du Tay tumultueux ne lui permettaient pas de se poser en veuf inconsolable, en martyr des regrets conjugaux. Et quel autre prétexte inventer ? La fatigue d’un travail excessif ? Mais alors sir Saville trouverait étrange qu’il s’éloignât ainsi sans le consulter sur