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portes de l’avenir s’ouvraient triomphalement devant Wilmot lui semblait, de la part de ce dernier, un coup de tête absurde, injustifiable. M. Foljambe était un de ces hommes d’argent qui savent rester hommes du monde. À ce dernier titre, il ne comprenait pas que les regrets du veuvage dussent aller aussi loin que son filleul paraissait vouloir les porter. Chudleigh Wilmot, qu’il avait aidé, encouragé, protégé dès l’enfance, et qui, depuis quelques années, lui inspirait une sorte de vénération par la tenace énergie de ses heureux efforts, Chudleigh Wilmot se manquerait-il ainsi à lui-même ? Il ne pouvait se résigner à le croire, et pourtant ceci devenait chaque jour plus probable, car chaque jour le jeune médecin semblait prendre en plus grand dégoût le séjour de Londres et les soucis quotidiens de sa laborieuse carrière.,

Au fond du dégoût de Chudleigh Wilmot, il y avait plus d’un remords, remords de sa conduite passée, remords de ses dispositions présentes, car enfin, — il en était réduit à se l’avouer parfois, — tout à coup investi du pouvoir de rendre la vie à cette femme que son indifférence avait tuée, peut-être maudirait-il le sort, peut-être hésiterait-il. Il hésite bien à quitter Londres, et d’où viennent à cet égard ses incertitudes ? Sa fortune déjà commencée, lui permet quelques loisirs. Il n’a pas à se préoccuper de ses cliens, ils lui reviendront toujours, fidèles au renom qu’il a conquis ; mais il en est parmi eux vis-à-vis desquels une absence, même passagère, le placera dans des conditions moins favorables : certaines amitiés de fraîche date se refroidiront ; le souvenir récent des services rendus s’effacera bien vite. Retrouvera-t-il au retour les privilèges de l’intimité quotidienne ? Et d’ailleurs a-t-il donc tant de temps à perdre ? Au coin de ses yeux se dessinent déjà quelques rides précoces, çà et là quelques fils d’argent se mêlent à sa noire chevelure… Tandis qu’il s’examine ainsi, avons-nous besoin de dire quelle image flotte, sans qu’il semble s’en rendre compte, à l’arrière-plan de ses pensées ?

Mais si cela pouvait jamais arriver, s’il y avait quelque fond à faire sur la chaleureuse reconnaissance de Ronald Kilsyth, sur l’évidente bienveillance de lady Muriel, sur la naïve tendresse dont la jeune malade lui a laissé entrevoir tant de fois les germes prêts à éclore, que penserait-on, que dirait-on ? Henrietta Prendergast, l’unique amie de Mabel, la confidente de ses soupçons, cette femme aux paroles incisives, aux sanglantes ironies, ne se ferait-elle pas une joie de dénoncer au monde la jalousie désormais justifiée que Madeleine inspirait à la pauvre morte ? De propos en propos n’irait-on pas jusqu’à deviner la vraie cause de ce trépas mystérieusement précoce ? Que répondre alors à l’accusation indirecte impliquée dans ce mot de suicide qui passerait de bouche en bouche ? Wilmot ne